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Salam Cassaïs d’ISALGUIER : une princesse noire au pays de Cocagne au début du XVème siècle

L’illustre famille toulousaine des Isalguier appartient aussi à l’une des principales dynasties seigneuriales de Goyrans .

Du XIII° siècle jusqu’au début du XVI°, les Isalguier de Toulouse occupent l’un des premiers rangs dans la capitale du Languedoc. Le Capitoulat, qu’ils exercent près de 50 fois en 200 ans, les a anoblis et en outre ils sont les incontournables argentiers des rois.

Quoiqu’il en soit, le parcours historique de la famille est riche à tout point de vue :

– riche de ses biens, principalement financiers, octroyés par la royauté française qui la récompense de sa fidélité ;

– riche ensuite de ses alliances avec de grandes et puissantes familles originaires du sud-ouest ;

– riche enfin de personnages mythiques et d’anecdotes souvent révélatrices d’épisodes inavoués.

Leur nom a été illustré par l’histoire romanesque et peut-être légendaire d’Anselme d’Isalguier ou la légende du maure. Ce noble toulousain a découvert le Niger au début du XV° siècle et ramené de Goa jusqu’au bord de la Garonne une princesse noire.

Le départ pour la grande aventure : histoire ou légende ?

En 1402, Anselme d’Isalguier part pour l’Afrique. Or, à la même date, le normand Jean de Béthencourt, en compagnie du poitevin Gadifer de la Salle, entreprend la conquête des Canaries, alors appelées Îles Fortunées.

Ces derniers sont accompagnés de leurs gens, mais aussi de Béarnais et de Bigourdans. Après des infortunes diverses, l’expédition aboutit enfin et ces îles passent sous la domination des Normands avec entre autres conséquences, l’extermination des indigènes d’origine berbère. Il n’est pas impossible que quelque cadet de grande famille toulousaine, comme celle des Isalguier, se  soit joint aux autres méridionaux pour participer à l’aventure.

Par ailleurs, 1405, année où Anselme d’Isalguier arrive à Gao, est la date du débarquement de Béthencourt sur les côtes d’Afrique où, après un vif engagement, il capture une caravane de Maures.  Peut-être Isalguier est-il parmi eux ? Et, au lieu de revenir aux Canaries, s’est-il enfoncé vers le centre de l’Afrique ? Hypothèse sans doute, mais hypothèse plausible. Isalguier arrive à Gao au moment le plus brillant de l’empire Songhaï.

Autour de Gao

Évoquée à plusieurs reprises dans notre récit, la ville de Gao est située au sud de la boucle du Niger, en Afrique Occidentale, au Mali.

Avant d’être le pays pauvre que nous connaissons aujourd’hui, le Mali fut un empire puissant et riche, créé au XIII° siècle par Soundjata Keita. Gao, capitale de l’empire Songhaï, est acquise à l’islam.

La richesse de la ville repose alors sur sa localisation : située sur les rives du fleuve Niger, elle est le point de départ ou d’arrivée de la grande piste transsaharienne qui assure la liaison commerciale entre l’Atlantique et la Méditerranée.

La décadence de la cité commence au XV° siècle et se poursuit un siècle plus tard quand elle se trouve soumise au sultan du Maroc.

L’idylle sur les bords du Niger

Anselme se lie d’amitié avec des princes et des grands personnages de ce pays. Une jeune noire d’une grande beauté, appelée Cassaïs ou Salam-Cassaïs lui plaît. Elle est de noble famille, peut-être la fille d’un roi ou d’un grand personnage. En effet , elle porte le même nom «  Cassaïs » que la mère d’un prince de Gao. Elle est de religion musulmane et Anselme d’Isalguier doit abjurer sa foi pour l’épouser. C’est, du reste, un très beau parti car elle apporte en dot beaucoup d’or et de pierres précieuses et ces considérations ne sont sans doute pas étrangères à ce mariage.

La passion d’Anselme est partagée et l’idylle continue sur les bords du Niger pendant huit ans.

Le retour et l’épilogue du roman africain

Mais dans ces terres de sommeil et de soleil, sous l’ombre immuable des palmeraies de Gao qu’encercle l’horizon embrasé des steppes nigériennes, malgré tant de satisfactions amoureuses, malgré l’attrait pour cette Afrique inconnue, Anselme commence sans doute à ressentir cruellement la nostalgie des peupliers frémissants de ses ramiers garonnais.

Ah ! la nostalgie ! Notre terre occitane n’est-elle pas si belle et si prenante qu’elle fait même oublier l’amour des sultanes et des filles de roi, ainsi que l’a chanté Mistral dans sa chanson « le Renégat » ?

Et  puis, en dépit des éclipses passagères de sa foi, ce chrétien du Moyen Âge est préoccupé du salut et de la conversion de celle qu’il aime, or, en terre d’Islam, cette conversion est impossible.

Dès lors, il prépare son départ mais il rencontre toutes sortes d’obstacles. Un prince noir dont Anselme a gagné l’amitié, ne veut pas le laisser partir, prétendant qu’il en mourrait de chagrin. Il fait comme il a dit et 6 semaines après le départ définitif d’Isalguier, le prince noir tombe dans une si grande mélancolie qu’il en est consumé .

Quoiqu’il en soit, Isalguier a quitté Gao en secret pour traverser la Méditerranée et arriver à Marseille. Il amène avec lui sa femme et sa fille, une charmante petite métisse de 6 ans ainsi que 6 serviteurs songhaïs. Des incidents troublent cette traversée : le navire provençal qui transporte Isalguier et les siens est attaqué par des corsaires mais finalement, ils peuvent en réchapper. Ainsi, après avoir surmonté les périls du désert  puis ceux d’une traversée mouvementée, Anselme et sa famille débarquent en 1413 à Marseille, d’où ils gagnent Toulouse.

Notre héro s’installe en pays toulousain avec sa famille et ses serviteurs indigènes

Après leur retour à Toulouse, Salam Cassaïs, sa fille et leurs 6 serviteurs indigènes, 3 servantes et 3 eunuques, se convertissent au christianisme. Au baptême, la petite reçoit le nom de Marthe. On raconte, qu’après son seizième anniversaire, la fille d’Anselme et de la princesse Salam Cassaïs est si bien faite et si jolie qu’aucune jeune fille de Toulouse n’atteint son éclat. Elle est dans l’épanouissement de sa splendeur exotique et cette reine de beauté et de bonté, assez désintéressée, distribue en aumônes aux pauvres tout l’argent qu’elle reçoit de ses parents pour ses toilettes.

Richement dotée, Marthe épouse à 18 ans le chevalier Eugène de Faudoas, jeune homme d’une des meilleures familles de Toulouse. De ce mariage, naît Eustache de Faudoas qui devient  plus tard un excellent chevalier. On le surnomme le Maure « lou Maurou » en occitan, en raison de son teint très foncé qui rappelle celui de sa mère.

Il se rend célèbre par sa valeur et son courage et reçoit des commandements importants dans les armées du Roi.

Cet Eustache de Faudoas, petit-fils d’Anselme, a probablement séjourné au château de Pinsaguel. En effet, celui-ci, anciennement propriété de la famille de Berthier et actuellement propriété de la commune de Pinsaguel, appartient pendant plusieurs siècles, durant le Moyen-Âge, aux Isalguier.

Une des tours carrées, située à l’angle de la façade arrière nord de ce château médiéval et subsistant toujours dans l’édifice actuel du XVIII° siècle, comporte une salle voûtée d’ogives datant de la fin du XIII° ou du XIV° siècle. De plus, les armes des Isalguiers aux 5 fleurs d’isalgue  (touffe d’iris ) apparaissent sur la clé de voûte.

Or cette tour porte traditionnellement le nom de « Tour du Maure », souvenir soit du hardi voyageur africain, qui a peut-être habité ce château, soit de son petit-fils le Maure de Faudoas.

Anselme d’Isalguier a encore de sa femme Salam-Cassaïs deux autres filles, une blanche et l’autre de teint foncé. Toutes trois entrent au couvent après le décès d’Anselme.

Une autre anecdote pittoresque nous est parvenue

Parmi les serviteurs noirs qu’Anselme a ramenés, l’un d’eux, un eunuque nommé Aben-Ali, posséde un talent médical extraordinaire.

Étonnamment versé dans la connaissance des herbes et de leurs vertus, il guérit les fièvres chaudes et brûlantes. Il a des « simples » une connaissance étendue, au point que sa réputation de guérisseur excite la violente jalousie des médecins de Toulouse.

Une visite royale vient consacrer sa réputation.

En effet, le 4 mars 1419, le dauphin Charles, connu par la suite comme le roi de Bourges et qui fut, grâce à Jeanne d’Arc, sacré à Reims  sous le nom de Charles VII, fait son entrée à Toulouse en somptueux apparat. Son arrivée est triomphale, ayant fière allure en cotte d’armes, panache de plumes d’autruche au vent, et étendard déployé sur lequel Saint Michel terrasse le dragon. À cette époque, il dispute aux Anglais la possession de son futur royaume et n’est maître que du centre et du midi de la France.

Or, il tombe bientôt malade d’une fièvre pernicieuse.

Qui lui parle du médecin noir ? Peut-être son premier chambellan, le « chevalier sans reproche », Arnaud-Guilhem de Barbazan, beau frère de Louis de Faudoas. Ce dernier a, avec les Isalguier, les relations les plus étroites, bientôt cimentées par un mariage.

Aben-Ali est mandé et, en 5 jours, il rend la santé au dauphin. Arrivé le 4 mars à Toulouse, le futur roi Charles VII est sur pied pour reprendre, le 9 mars, son périple dans le Midi. Une gratification de 200 écus d’or récompense le médecin de cette « cure historique ». Les cures merveilleuses du médecin noir ont attisé contre lui des jalousies mortelles dans le corps médical de Toulouse. En proie à toutes ces haines, Aben-Ali succombe à l’âge de 73 ans, peut-être empoisonné par ses confrères toulousains.

Les résultats de la 1ère « croisière noire »

Quel que soit l’attrait romanesque de cette extraordinaire aventure africaine et de son épilogue dans le prestigieux Toulouse du XV° siècle, nous devons nous demander dans quelle mesure le voyage de ce toulousain érudit et naturaliste a pu contribuer à enrichir la science de son temps.

En effet, Anselme d’Isalguier a rédigé une relation de son voyage comportant son itinéraire, la liste des États qu’il a traversés, la description du pays et des religions, des mœurs et des coutumes qu’il y a observées. Il y joint un dictionnaire des langues qu’on y parle : l’arabe, le targui et le songhaï qui sont les 3 langues parlées à Gao.

Est-il besoin de signaler l’intérêt prodigieux que présenteraient ces ouvrages s’ils avaient pu nous parvenir, ou si on pouvait un jour les retrouver. Le récit d’Isalguier serait pour l’Afrique médiévale ce qu’est pour l’Extrême Orient le « livre des Merveilles » de Marco Polo. De plus, quelle importance de premier plan aurait pour la philologie africaine un dictionnaire antérieur de 5 siècles aux travaux du Père de Foucauld !

Plusieurs faits historiques expliquent l’oubli dans lequel sont tombés cette exploration et les ouvrages du voyageur toulousain.

Dès la fin du XV° siècle, les grandes découvertes maritimes des Portugais et des Espagnols détournent les esprits loin de l’Afrique Intérieure, vers d’autres pays de l’or. Tandis que les « Conquistadores » livrent à la spéculation européenne les Eldorados du Nouveau Monde, toutes les notions amassées par Isalguier et ses prédécesseurs sur l’Afrique Intérieure tombent dans l’oubli. En effet, au delà de la mince ligne des comptoirs portugais ou hollandais le long des côtes, presque tout l’intérieur du continent africain est laissé en blanc sur les cartes, « Terrae incognitae » jusqu’aux grandes découvertes du XIX° siècle. 

Ce que doit à Anselme d’ISALGUIER la reconnaissance toulousaine

Il faut  rendre à Anselme d’Isalguier, ce grand voyageur du XV°siècle, le rang auquel il a droit, c’est à dire un des tout premiers parmi les gloires de notre capitale languedocienne.

N’est-ce pas une coïncidence magnifique et pleine de sens que la première page de nos épopées africaines ait été écrite par un occitan, par un toulousain, par un compatriote des troubadours et qu’elle s’ouvre par une idylle d’amour ?

Pour d’autres nations, le premier contact de l’européen, de l’homme blanc avec les civilisations inconnues des continents nouveaux évoque l’image de « conquistadores » cuirassés et casqués, escaladant, la rapière en main, les pentes des Cordillères  andines embrasées qui défendent l’accès des pays de l’or ou encore les incursions de puritains forçant, la carabine au poing et la Bible dans l’autre main, les retranchements des derniers Peaux-Rouges, au fond des lointaines prairies du Far-West.

Faire connaître cette histoire serait rendre justice à ce toulousain, explorateur du Mali, du Niger et de l’Empire Songhaï et éviter qu’il tombe à nouveau dans l’oubli.

L’Afrique selon Mercator (Africa 1595)