Du Moyen-Age à la Révolution, la paroisse de Goyrans étant l’annexe de celle d’Aureville, les deux communes ont le même curé.
Goyrans n’obtient d’ailleurs son propre curé que dans la 2° moitié du XIX° siècle.
C’est ainsi qu’au temps de la Révolution, Jean-François-Régis CHAMOULAUD est curé des deux paroisses de 1787 à 1792 puis de nouveau de 1800 à 1808.
Jean-François-Régis Chamoulaud est un prêtre réfractaire, c’est-à-dire qu’il a refusé de prêter serment à la Constitution civile du clergé.
Celle-ci est votée par l’Assemblée Nationale Constituante le 12 juillet 1790, sanctionnée par le Roi le 24 août et est imposée, sous serment, à tous les ecclésiastiques exerçant une fonction publique par décret du 27 novembre de la même année. Quatre évêques seulement y adhérent. Tous les autres refusent, entraînant avec eux, dès la première heure, les deux tiers de leurs prêtres et, parmi eux, Monsieur Chamoulaud.
Par ailleurs, dans le tiers signataire, il y eut de nombreuses rétractations dès que le pape eut condamné la loi. En définitive, le clergé constitutionnel ne représente qu’une infime minorité.
Partant du principe que le pouvoir civil a le droit de régler la discipline extérieure de l’Église et le devoir de la réformer en la ramenant à sa pureté primitive, la Constituante trace tout un plan de régénération ecclésiastique.
Elle supprime, de sa propre autorité, et sans en référer à Rome, les chapitres, tous les bénéfices et prébendes et réduit à 83, un par département, les 135 évêchés ou archevêchés d’Ancien Régime existant jusque-là en France.
De plus, elle décrète, au mépris des règles canoniques, que tous les ministres du culte sont ,en tant que fonctionnaires publics, soumis aux suffrages du peuple et nommés curés ou évêques à la majorité des voix. C’est le renversement complet de la hiérarchie catholique qui descend du pape aux fidèles, mais qui ne remonte pas des fidèles au pape.
On se doute que l’attitude du curé Chamoulaud déplaît fortement aux nouvelles autorités municipales et notamment à celles d’Aureville qui décident en décembre 1790 de convoquer le susnommé. Elles lui intiment l’ordre : « de lire au prône, à haute et intelligente voix et en langue vulgaire tous les décrets de l’Assemblée Nationale ».
Le curé répond que :
« – la langue patoise n’a pas de mots propres pour rendre les termes en lesquels sont énoncés ces décrets ;
– les décrets lui ont été remis juste avant le commencement de la messe ;
– Il n’a pas eu le temps de les lire… »
Quant à prêter le serment civique, il pense y être seulement invité car il croit que seuls y sont obligés les agents de l’État et il attend de voir ce que feront ses confrères…
En février 1791, maires et notables, réunis à l’issue de la messe, somment le curé de prêter serment ; il refuse violemment. Le maire le considère comme démissionnaire et annonce qu’il sera remplacé.
Il continue cependant à assurer son ministère : le 8 mai 1791, la municipalité demande une messe pour la mort de Mirabeau, survenue le 2 avril 1791, en mémoire duquel elle décrète un deuil de 8 jours.
Devenu prêtre réfractaire, il perd les bénéfices de la cure d’Aureville et de celle de Goyrans, son annexe car, par son refus du serment civique, il s’est mis hors la loi. Il est destitué de ses fonctions et l’on doit pourvoir à son remplacement. Conformément au décret du 27 novembre 1790, il est stipulé que :
« dans la huitaine à partir de sa promulgation, tous les évêques et curés prêteront le serment, un dimanche, en présence des municipalités, faute de quoi, ils seront privés de leurs fonctions, déchus de leurs droits de citoyens et en cas d’exercice de leur ministère, poursuivis comme perturbateurs du repos public ».
Cependant, M. Chamoulaud se considère comme étant toujours le prêtre légitime des 2 paroisses ainsi qu’il l’écrit en marge du dernier acte de mariage qu’il célèbre en l’église d’Aureville en décembre 1792.
En fait, depuis le début du XV° siècle, les registres d’état civil ou plus exactement des baptêmes, mariages et sépultures sont tenus par les prêtres sur des registres paroissiaux. Or l’état civil ayant été laïcisé par décret de l’Assemblée Législative du 20 septembre 1792, M. Chamoulaud est mis en demeure au début de l’année 1793 de remettre les registres paroissiaux qui sont en sa possession aux officiers municipaux de la commune chargés d’enregistrer naissances, mariages et décès.
Cependant, avant de confier les précieux registres à l’autorité municipale, il estime qu’il est de son devoir de faire connaître à ses contemporains et aux générations futures les sentiments qu’il éprouve à l’égard des philosophes et de la Révolution en général, surtout que celle-ci s’est radicalisée.
En effet, en ce début d’année, le 21 janvier 1793, le roi Louis XVI vient d’être exécuté à Paris.
Ainsi, avant son départ en exil, pour sauver sa tête, notre curé écrit à la dernière page du registre paroissial et en marge du dernier acte de mariage, célébré en l’église d’Aureville en décembre 1792 une longue note.
Dans celle-ci intitulée « Observation », il affirme son horreur de la Révolution et des philosophes qui l’ont inspirée :
« Il est du devoir de tout homme en place de laisser à la génération future des preuves aussi multiples qu’incontestables de la funeste Révolution qui a désolé toute la France les dernières années du XVIII° siècle…
Les philosophes impies, libertins et brigands, s’efforceront dans 20 ou 30 ans de la faire regarder comme un des ces événements inattendus amenés par des causes fortuites mais le prudent politique l’envisagera comme un résultat nécessaire de la perte des mœurs, une suite du luxe effréné et l’anéantissement de toute justice.
Le Chrétien, surtout, ne pourra s’empêcher de la considérer comme un fléau terrible pour punir la continuation de la Passion de Jésus-Christ ou la Passion proprement dite de son corps mystique. Qu’on se représente dans l’iniquité parvenue à son comble inondant le sanctuaire, dégradant la magistrature, énervant la force armée, éteignant toute valeur, se laissant subjuguer par la multitude, renversant les autels, massacrant les pontifes et les prêtres jusqu’au pied des autels, dans le chaire de la Vérité, bannissant ceux qu’ils dédaignaient d’immoler, les déportant dans d’affreux déserts !
La barrière de la religion forcée à quoi devait s’attendre la société politique depuis son chef jusqu’au dernier berger dont la cabane n’était plus l’asile de l’innocence et de la vérité ! Aussi vit-on le plus juste des rois assassiné publiquement dans sa capitale*, sa famille éteinte, le sanctuaire des lois noyé dans le sang, les anciens défenseurs de la patrie poursuivis, mis à mort, les paisibles commerçants ruinés de corps et de biens pour n’avoir pu satisfaire l’avidité des brigands, les ouvriers sans travail, forcés de se mettre à la solde de la scélératesse, le laboureur, l’habitant de la campagne séduit et trompé pour exterminer par ses bras ses seigneurs, ses bienfaiteurs et ses maîtres. Enfin, tout ordre renversé, toutes les lois foulées….
Ruine, destruction : la France rendue méconnaissable aux yeux de ses habitants.
Voilà ce que vous avez fait, monstres altérés de sang ! Tigres déchaînés.
Et pour vous caractériser d’une seul mot, philosophes on ne pourra jamais exprimer ce que ce mot inspire d’horreur !…
N’accusez pas le hasard pour vous disculper ; tous les crimes étaient prévus ; vous en préparez d’autres, si la sagesse de la religion et la prudence de la politique ne font avorter vos fureurs.
Nos neveux, oui, nos neveux sauront qu’il n’est rien de tracé ici dont nos yeux n’aient été les témoins. Ce registre sera le dépositaire de notre dernier cri, pour vous avertir d’éviter, qui que vous soyez, votre ruine par l’insubordination, la révolte et surtout l’impiété… Quand on a secoué le joug de Dieu, on brise celui des des hommes . »
Jean-François-Régis Chamoulaud, curé d’Aureville et de Goyrans
*Ce texte a été écrit après le 21 janvier 1793, date de l’exécution de Louis XVI
Qu’est devenu Jean-François-Régis Chamoulaud, le curé de Goyrans, après son départ de la paroisse pendant la tourmente révolutionnaire ?
Nous l’ignorons !
Pendant cette période tragique, on perd sa trace ; il ne réside ni à Aureville, ni à Goyrans.
Une chose est sûre en tout cas : il ne figure pas sur la liste des prêtres partis en déportation, ni sur la liste des reclus de la prison Ste. Catherine à Toulouse. Cette prison, aujourd’hui disparue, se situait entre la place Wilson et la place du Capitole.
Le décret du 26 août 1792 « enjoignait à tous les prêtres insermentés (réfractaires) de quitter le royaume dans les 15 jours , sous peine d’être déportés à la Guyanne ».
Les prêtres réfractaires, traqués de toutes parts, sont contraints de s’expatrier. Ils ne peuvent emporter que les 3 ou 4 louis tolérés par la loi et un peu de linge, roulé dans la soutane proscrite. En outre, tout costume ou insigne religieux est interdit hors de l’église, par la loi du 18 août 1792.
Il est probable que notre curé ne doit son salut qu’à l’exil.
En habits laïques, paquet sur l’épaule et bâton en main, il a peut-être pris la route de Toulouse à Ax les Thermes pour gagner par étapes, après mille traverses, la frontière d’Espagne et la franchir à Puigcerda.
Les prêtres exilés ne peuvent songer à rentrer en France. Le décret du 18 mars 1793, obligeant tout citoyen à les dénoncer, les rend passibles de la peine de mort dans les 24 heures.
Si les prêtres réfractaires sont sans cesse harcelés, les prêtres assermentés sont, quant à eux, traités en suspects !À la prison des Carmélites à Toulouse, 65 prêtres assermentés dénoncés pour incivisme et, de ce chef, passibles de la déportation en Afrique équatoriale, sont déjà écroués.
Parmi eux se trouve l’archevêque de Toulouse, monseigneur Sermet, ayant pourtant lui aussi prêté le serment de la Constitution civile, arrêté pour avoir refusé d’autoriser et de ratifier le mariage de ses prêtres, en dépit des lois contraires de 1793.
Faisant toujours preuve d’un zèle révolutionnaire, la Convention expirante renouvelle, le 24 octobre 1795, les prescriptions de 1792 et de 1793. Elle décrète la remise en vigueur des anciennes lois, condamnant les prêtres réfractaires à la déportation s’ils sont âgés de moins de 60 ans ou à la réclusion s’ils sont sexagénaires ou infirmes .
Après le coup d’État fomenté par le Directoire le 18 fructidor an V (4 septembre 1797), la persécution recommence plus violente que jamais, avec ses emprisonnements en masse et ses déportations. Pendant 2 ans, on traque sans merci les prêtres réfractaires, multipliant les visites domiciliaires, dressant la liste des maisons suspectes et provoquant des délations. De plus, en août et septembre 1799, vingt six ecclésiastiques sont encore arrêtés à Toulouse en représailles.
C’est précisément à cette époque que nous retrouvons enfin la trace de notre curé.
En effet, il est arrêté à Aureville le 16 janvier 1798 par les gendarmes d’Auterive. Ceux-ci découvrent dans une chambre de la maison où il a élu domicile « un oratoire en forme de chapelle où est placé un crucifix au dessus de l’image de la Vierge avec des chandeliers garnis de bougies, 2 burettes garnies, un calice d’argent enveloppé d’un linge blanc, une pierre sacrée placée comme d’usage et couverte d’une nappe ».
Finalement, le curé Chamoulaud revient quelques temps comme prêtre de ses 2 anciennes paroisses ; puis, devenu protonotaire apostolique en 1808 (chef des notaires de la cour pontificale autrefois chargés d’écrire les actes des martyrs), il retrouve Goyrans et Aureville en qualité de commissaire chargé de reconstituer la liste des baptêmes, mariages et sépultures des années 1793-1800.
Il faut attendre le coup d’État de Bonaparte le 18 brumaire (9 novembre 1799) et l’avènement du Consulat pour obtenir enfin la pacification. Sept ans après la signature par Napoléon Bonaparte du Concordat avec le pape Pie VII, la religion catholique est rétablie en tant que « religion de la majorité des Français ».
Pourquoi une bataille à Toulouse ?
Au cours de son histoire,Toulouse ne connaît l’épreuve de la guerre qu’à deux reprises :
– Au cœur de la tragédie Cathare où, en moins d’une décennie, de 1211 à 1219, elle repousse 3 sièges des croisés du nord et où leur chef, Simon de Montfort, trouve la mort devant les remparts de la ville.
– Et lors de la bataille du 10 avril 1814.
Il faut souligner que la bataille de Toulouse de 1814 n’est pas une bataille urbaine. Elle se déroule dans le proche environnement de la cité, c’est à dire dans les faubourgs immédiats, sans combat de rue, sans siège et sans investissement de la ville.
Les combats qui ont eu lieu dans le sud-ouest, depuis les Pyrénées jusqu’à Toulouse, ont été éclipsés à la même époque par la campagne de France qui marque les derniers soubresauts militaires de l’Empire. Les historiens des campagnes de l’Empire ont toujours privilégié les batailles où se trouvait engagé Napoléon.
C’est pour cela que la confrontation qui s’est déroulée aux portes de Toulouse a été qualifiée de « bataille oubliée ».
En ce printemps 1814, l’épopée impériale touche à sa fin. Napoléon a abdiqué depuis le 6 avril, mais, en pratique, il faut 5 ou 6 jours pour qu’une nouvelle parvienne de Paris à Toulouse et encore, à condition de ne pas être interceptée.
Les armées françaises quittent l’Espagne, talonnées par une coalition regroupant anglais, espagnols et portugais. Son commandant en chef n’est autre que le marquis de Wellington.
L’armée française, massée sur le versant espagnol des Pyrénées, est reprise en main dès le 12 juillet 1813 par le maréchal Soult, nommé lieutenant-général en Espagne. Jean-de-Dieu Soult est né en 1769 près de chez nous, dans le Tarn, à Saint Amans -La Bastide ; Napoléon dira de lui qu’il a été « le premier manœuvrier de l’Europe ».
Quelle armée atteindra Toulouse la première ?
Depuis la frontière espagnole, les deux armées se poursuivent.
Soult franchit les Pyrénées par le Pays basque et suit la route de Saint Gaudens puis de Muret vers Toulouse, où il arrive le 24 mars.
Son objectif est triple :
– faire la jonction avec le maréchal Suchet qui ramène l’armée de Catalogne par le Roussillon vers Narbonne ;
– s’éloigner de Bayonne pour entraîner les coalisés anglais loin de l’océan par lequel ces derniers reçoivent subsides et troupes de renfort. La ligne de ravitaillement ennemie ainsi allongée est plus vulnérable et Wellington s’affaiblit donc d’autant ;
– atteindre Toulouse pour s’y réapprovisionner : il y a un important arsenal, une fonderie de canons, une poudrerie et le blé du moulin du Bazacle.
De son côté, Wellington, bien qu’ayant pris la route la plus courte par le Gers, arrive en vue de Toulouse 2 jours après Soult. En effet, ce printemps 1814 est très pluvieux et par conséquent Soult choisit la route de Saint Gaudens, plus longue mais en bien meilleur état, car la pluie qui détrempe les chemins creusés d’ornières et une région vallonnée vont ralentir Wellington.
Mettant à profit ces 2 jours, Soult établit une ligne d’ouvrages de défense bloquant les principales voies d’accès de la capitale languedocienne.
L’objectif de Wellington est simple : éviter la jonction des armées de Soult et Suchet, ce qui le mettrait en difficulté, en s’interposant entre celles-ci.
Pour réaliser son plan, il décide de contourner Toulouse en traversant la Garonne soit en amont, soit en aval.
Finalement, le choix de Wellington est de franchir le fleuve à quelques kilomètres en amont de Toulouse au village de Portet.
C’est là que se situe l’intervention de notre héros, le général baron Jean-Marie RITAY, valeureux retraité de l’armée qui va retrouver son dynamisme juvénile !
Qui était Jean-Marie Ritay ?
Né en 1761 à Portet sur Garonne où son père était menuisier puis instituteur, le jeune Ritay s’engage à 20 ans dans l’armée. En 1782-1783, il fait partie du corps envoyé en Amérique sous les ordres du général Rochambeau, participant à la guerre d’indépendance contre les Anglais.
Sa carrière est rapide : nommé sergent-major en 1789, lieutenant en 1792, il est élevé au grade de chef de bataillon en 1794 dans l’armée du Rhin, sur le champ de bataille devant Mayence.
En 1797, à Kehl, il est gravement blessé à la cuisse gauche, ce qui lui vaut 8 mois de convalescence.
En 1799, en Suisse, il s’illustre dans l’armée de Masséna qui le nomme colonel après qu’il s’est couvert de gloire aux combats de Zürich, de Hohenlinden et à la prise de Memmingen en Bavière.
Pendant l’épopée napoléonienne il sert sous les ordres des maréchaux Mortier et Bernadotte.
Il prend part, dans la Grande Armée, aux campagnes d’Autriche, de Prusse, de Pologne et est plusieurs fois blessé. Il se fait remarquer en octobre 1805, à la prise d’Ulm, où le général Lannes lui rend devant les troupes un solennel hommage pour son héroïsme.
Encore blessé, cette fois au bras gauche le 11 novembre 1805, lors de la victoire de Nürstein, sa blessure ne l’empêche pas de combattre 3 semaines plus tard à la glorieuse bataille d’Austerlitz, avec tant d’héroïsme que, dès le lendemain le 3 décembre, Napoléon le choisit pour être général de brigade.
Criblé de blessures le rendant désormais inapte à servir sur les champs de bataille, il est désigné par Napoléon pour être gouverneur de plusieurs places conquises dont : Munich, Würzbourg et Dantzig.
Mais sa santé se dégradant toujours, l’empereur doit, bien à contrecœur, le renvoyer en France en 1807 pour le faire soigner à l’hôpital militaire de Barèges dans les Pyrénées. Sitôt partiellement rétabli, Ritay se voit confier par Napoléon le commandement de la 10° division militaire de Toulouse comprenant plusieurs départements du massif pyrénéen : Pyrénées Orientales, Ariège, Haute-Garonne, Hautes Pyrénées auxquels s’ajoutent le Gers et l’Aude.
Son état déclinant encore, il décide d’abandonner l’armée après 27 ans de carrière et 21 campagnes, en demandant sa mise à la retraite en 1808.
La même année, en reconnaissance de ses brillants états de service, il devient baron d’Empire avec une dotation de 10 000 Frs de revenus.
L’Empereur, qui l’avait déjà décoré de la Légion d’Honneur, lui attribue comme blason un lion et un glaive, armoiries ô combien parlantes pour un militaire !
La fin de sa vie au château de Creuse :
Revenu à Portet, il acquiert le château de Creuse. Situé dans l’enclave de la commune de Portet, sur la rive droite de l’Ariège et limitrophe des communes de Lacroix-Falgarde et Vigoulet Auzil, il est juste avant et presque en face de l’actuelle station d’essence en direction de Toulouse.
Ce château, qui nous est si familier quand nous l’apercevons depuis la voiture, que savons-nous de son histoire ?
Ce charmant manoir à taille humaine fut construit à la fin du XVI° ou au début du XVII°. Il fut sans doute édifié par Guillaume Mestre dit Boisson car il était l’héritier de Guillaume Boisson, marchand toulousain enrichi dans le commerce du pastel. Lui même était aussi marchand et fut capitoul en 1625-1626 ; il possédait plusieurs immeubles dans le centre ville de Toulouse .
Le corps du château avec briques apparentes est protégé par 2 tours en encorbellement (en porte à faux sur un mur et supportées par des consoles ou des corbeaux) couvertes d’ardoises. Elles sont positionnées en diagonale par rapport au bâtiment, avec des petites meurtrières permettant de se défendre sur les 4 côtés. À l’origine, le château possédait des fenêtres à meneaux qui ont été supprimées au XVIII° et remplacées par des ouvertures plus hautes.
Dans les jardins, situés à l’arrière du bâtiment, se trouvait une orangerie ; celle-ci a été transformée en habitation et sur sa façade sont scellés 4 médaillons en terre cuite contenant chacun une inscription à la gloire d’Henri IV.
Au XVIII°, Creuse passa à la famille Daumazan par le mariage d’Armande Mestre avec Pierre Daumazan, lui aussi capitoul en 1756-1757.
Pendant la Révolution, le manoir est vendu par Jean-Paul Daumazan à Marie-Thérèse Ferrati-Grenville. Celle-ci était la fille illégitime de lord Grenville, ancien premier ministre anglais, et d’une artiste italienne.
En 1809, elle vendit ce bien au général Ritay dans la famille duquel il reste jusqu’en 1932. Le domaine fut alors revendu par M. Biscons-Ritay à la famille Jany qui en est toujours propriétaire à ce jour.
On peut admirer dans le grand salon du rez de chaussée au plafond peint, plusieurs souvenirs du Général Ritay : 2 sabres,une paire d’épaulettes et un portrait le représentant en grand uniforme, le bicorne à la main.
En 1810, le Baron Ritay, âgé de 49 ans, épouse Guillaumette-Paule BISCONS, une toulousaine de 24 ans sa cadette dont il aura 3 enfants.
« Je puis bien commander une armée, mais pas la générale » dit-il plaisamment.
Il coule des jours paisibles jusqu’aux événements qui se déroulèrent à Portet quelques jours avant la bataille de Toulouse.
Après l’Empire, Ritay perd sa dotation mais ses mérites sont cependant reconnus par le roi Louis XVIII qui le nomme maréchal de camp et lui attribue la croix de Saint Louis.
Couvert d’honneurs, Ritay a gardé toute sa simplicité et ne renie jamais sa modeste origine. Une anecdote l’illustre parfaitement :
Alors qu’il venait d’arriver à Toulouse, le préfet du département l’invita à dîner. Avant de passer à table, le préfet voulut lui faire admirer les belles sculptures de son salon.
« Je les connaissais avant vous, lui dit le général. J’ai travaillé à ces frises et ces corniches lorsque j’étais garçon – sculpteur à Toulouse. »
Ritay est nommé maire de Portet peu de temps avant sa mort.
Très diminué par ses multiples blessures, il s’éteint d’une attaque d’apoplexie foudroyante en 1819, à l’âge de 58 ans, dans son château de Creuse.
Le « journal politique et littéraire de Toulouse et de la Haute Garonne » du 16 avril 1819 insérait la note suivante :… « La France perd dans ce Général un excellent citoyen et sa famille un chef dont les vertus lui en feront toujours chérir la mémoire ».
Il repose au cimetière de Portet sur Garonne, dans un modeste tombeau.
Ce héros de légende ne mérite pas l’oubli mais nul n’est prophète …
Ritay et la bataille de Portet :
L’histoire montre que ce n’est pas toujours le plus fort qui gagne une bataille. L’art de la guerre, c’est aussi celui de ruser et de tromper l’ennemi par de fausses démonstrations et finalement l’amener à faire un mauvais choix.
Ce précepte fut magnifiquement illustré par un héros obscur de la dernière épopée napoléonienne, mis à la retraite pour invalidité, le général baron Jean-Marie Ritay.
Nous sommes au mois de mars 1814 et ….
Pour passer inaperçus, les Anglais se présentent au bac de Portet dans la nuit du 28 mars. Ils rétablissent le câble du bac et commencent à mettre en place des pontons. Mais ici, ils doivent affronter un homme plein d’initiative, le général baron Ritay qui habite avec sa famille le charmant manoir de Creuse, à proximité du fleuve.
Or, ce soir là, un domestique arrive tout affolé au château :
– Général, dit-il, les ennemis sont au milieu du fleuve ! Les pontonniers sont à l’œuvre, dans trois quarts d’heure ils seront chez nous !
Aussitôt, Ritay expédie à la hâte son jardinier avertir les avant-postes français qui occupent Vieille-Toulouse. En les attendant, le baron ne reste pas inactif et décide d’intervenir avec l’aide de 2 hommes dévoués et courageux, son domestique et Antoine Lassus, pêcheur de gravier et ami d’enfance. Tous trois s’arment et partent vers le bac, Ritay demandant également au domestique de se munir d’une hache. Les pontonniers anglais sondent le fleuve. Déployée aux abords de la descente du bac, l’armée ennemie surveille la rive opposée .
Profitant de la nuit pour se dissimuler, les voilà cheminant sans bruit le long des fossés, abrités par le feuillage des haies. Arrivés au bord du fleuve, Ritay donne ses ordres à voix basse. Le domestique sort du couvert en rampant comme une anguille, se glisse jusqu’au pied du poteau qui retient le câble du bac et les pontons puis l’abat à la hache. Au même instant, Ritay et Lassus, masqués par des fourrés tirent à feu nourri en direction des Anglais sur l’autre berge. Puis sans cesser leurs tirs, ils alimentent plusieurs feux, faisant croire à des bivouacs de l’armée française.
En outre, les conditions atmosphériques vont contribuer au succès de leur entreprise, car, comme souvent dans la région toulousaine, le printemps étant très pluvieux, la Garonne est en crue et un fort courant emporte les pontonniers ennemis. Effrayés par cette action et persuadés que la rive droite est défendue par un important détachement français, les Anglais renoncent à traverser à cet endroit et font demi-tour. L’ardeur de vaincre cède à la peur de mourir !
Ainsi un général en retraite, avec seulement deux compagnons résolus, met en
déroute l’aile droite de l’armée anglaise soit : 3 brigades britanniques, 3 brigades portugaises, 3 brigades espagnoles et un escadron de cavalerie espagnole réunissant au total 13 000 hommes !
Soult, prévenu, vient le lendemain se rendre compte sur place et félicite le général Ritay pour sa courageuse et efficace initiative.
Puis, dans le salon du château, se tient un conseil de guerre. Le maréchal Soult et plusieurs de ses officiers d’État-Major, déployant de grandes cartes, cherchent à découvrir la marche de l’ennemi.
En outre, ils recueillent les renseignements que les paysans des environs viennent spontanément apporter à Ritay, l’enfant du pays en qui ils ont toute confiance.
Et, l’espace de quelques heures, le château de Creuse devient le quartier général du maréchal, duc de Dalmatie…
La première tentative de Wellington pour traverser la Garonne se termine donc par un échec complet.
Wellington décide alors de remonter le fleuve jusqu’à Roques et ses troupes traversent la Garonne entre Roques et Pinsaguel. Par la route de Pamiers, les Britanniques progressent jusqu’à Auterive. La crue de l’Ariège les empêchant de passer, les coalisés y campent. Ils atteignent ensuite le pont de Cintegabelle le 31 mars, franchissent enfin l’Ariège et se dirigent vers les coteaux.
Des hauteurs de Pech-David, le général Clauzel, ariégeois natif de Mirepoix, alerte Soult qui lui ordonne de faire mouvement avec sa brigade et sa cavalerie vers Vieille-Toulouse, Pechbusque et Goyrans afin de surveiller les mouvements de l’ennemi.
L’ennemi, où est-il ? Que fait-il ?
Parbleu, il est enlisé, embourbé dans la belle et profonde terre glaise de notre Lauragais !! Sur les coteaux, dans les chemins détrempés et défoncés par la pluie incessante, les convois sont englués en permanence. Malgré la réquisition de paysans avec leurs attelages de bœufs, l’artillerie ne peut plus faire un pas !
Alors que l’avant-garde atteint péniblement Nailloux, à seulement quelques kilomètres de Villefranche de Lauragais et de la route de Narbonne tant convoitée, Wellington change complètement ses plans, rebrousse chemin et décide de contourner Toulouse beaucoup plus en aval, par l’ouest vers Tournefeuille et par le nord vers Blagnac et Grenade.
Si la première manœuvre avait réussi, la route de Narbonne aurait été bloquée et le maréchal Soult aurait été obligé de se replier en direction de Montauban pour espérer rejoindre Paris. Les hasards de l’histoire feront que ces 2 chefs de guerre se retrouveront face à face 14 mois plus tard, le 18 juin, dans la « morne plaine » de Waterloo…
« De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace » disait l’orateur révolutionnaire Danton…
L’intrépide Général Ritay n’en manqua pas !
Par un exploit fabuleux, il réussit non seulement à intimider l’ennemi au point de le faire reculer, mais aussi à modifier les projets anglais et encore à retarder de 13 jours l’affrontement des 2 armées avant la chute de Toulouse.
Qui a gagné la bataille de Toulouse, Soult ou Wellington ?
La bataille s’engage le 10 avril 1814, jour de Pâques, à 6 heures du matin et se prolonge jusqu’à 21 heures.
Quels sont les effectifs des deux armées en présence ?
Soult aurait disposé pour la bataille de 41 500 hommes dont 35 000 engagés au combat contre 53 000 hommes dont 45 000 engagés au combat pour Wellington. Pour les coalisés, les pertes ont été supérieures à celle des Français puisque le total des pertes humaines est estimé à 3 200 pour les Français et à 4 750 du coté adverse.
Les Français, malgré leur infériorité numérique, ont partout bien résisté puisque la plupart des assauts ont été repoussés ou tout au moins contenus. En outre, seules les lignes de défense les plus avancées ont été perdues.
Deux facteurs extérieurs brouillent l’analyse de la bataille :
1) l’attitude de la population : en effet, les troupes françaises sont accueillies sans enthousiasme par les Toulousains, surtout quand ils constatent que les défenses de la ville ont été renforcées, ce qui ne présage rien de bon. La population n’est pas disposée à soutenir un siège, c’est un handicap connu de Soult mais Wellington l’ignore.
Le 12 avril,Wellington fait une entrée triomphale dans la ville ; il a pris Toulouse mais… après le départ en bon ordre du maréchal Soult et de son armée !
Et c’est l’Anglais qui a subi les plus lourdes pertes.
2) L’imminence du changement de régime politique en France :
Cette première confrontation n’a donc pas été décisive sur le plan militaire et on pouvait s’attendre à ce que les hostilités reprennent dès le lendemain, mais il n’en a rien été. La journée du 11 avril se passe dans le plus grand calme. Les deux camps sont sans aucun doute conscients de l’inutilité de poursuivre les hostilités alors que tout est peut-être déjà joué à Paris.
Étrange bataille dont chacun peut revendiquer la victoire ! Napoléon à Sainte Hélène dira de Soult : « toute sa campagne du midi de la France est très belle. »
Épilogue :
La bataille de Toulouse nous est chère à cause de notre attachement régional mais surtout parce qu’elle illustre la fin de l’Empire dans notre région qui a toujours gardé ses distances avec l’hégémonie impériale, tout en fournissant de très nombreuses gloires militaires ou civiles.
Dans la France fatiguée des guerres, la bataille de Toulouse est assurément la dernière bataille du Premier Empire ; ensuite viendront l’île d’Elbe, les cent-jours, Waterloo puis Sainte Hélène.
Entre le soleil d’Austerlitz et les brumes de Waterloo, le vent d’Autan toulousain n’a pas poussé la bataille de Toulouse jusqu’à nos livres d’histoire !
Par la suite, la légende napoléonienne, attachée aux pas du grand homme, oubliera allégrement Toulouse, dernière bataille d’un empire bâti avec les vies de tant d’hommes….
Le combat livré 4 jours après l’abdication de Napoléon au château de Fontainebleau est indiscutablement inutile pour l’avenir de la France.
Une bataille pour rien ?
Peut-être, mais incontestablement, une bataille pour l’honneur !
Le pastel était connu au Moyen Âge et même dès l’Antiquité, dans tous les pays méditerranéens et dans la plupart des pays d’Europe.
Celtes et Gaulois utilisaient le pastel, non seulement pour bleuir leurs tissus et leurs vêtements, mais aussi pour se parer le visage et le corps de signes cabalistiques. Quelle surprise pour Jules César, débarquant en Angleterre, de rencontrer une vieille race celte, du nom de « Picts » (hommes peints), ayant coutume de se frotter le corps avec du pastel !
C’est l’aspect belliqueux de ce maquillage qui impressionna Jules César, lequel mentionne dans ses « Commentaires » sur la Guerre des Gaules (livre V) que : « tous les bretons se teignent avec le pastel sauvage, produisant une couleur bleue, qui leur donne une allure terrible dans la bataille ».
L’un des plus anciens documents législatifs pastellier du Haut Moyen Âge concerne les capitulaires signés par Charlemagne, relatifs à la culture et à l’usage du pastel, qualifié de « Waida » ou « Wadda ». Dans le nord de la France, on l’appelle « guède ».
Les nordiques possédaient également la maîtrise de cette teinture, de même en Angleterre, la culture du pastel commença au début du XIII° siècle.
À partir du XIV° siècle, la culture du pastel va connaître un essor étonnant aux environs d’Albi dont le commerce florissant de la cocagne (boule de pâte de pastel séché) répond soit à la demande des teinturiers de Rouen qui curieusement l’appelaient Bleu de Perse, soit à celle des grandes foires de la Champagne, via le couloir rhodanien, soit enfin à celle des orientaux par les ports de la Méditerranée ( Narbonne, Sète, Aigues- Mortes, Vendres, Saint Gilles, Marseille etc ).
Devant le succès de cette initiative, la culture du pastel entreprend la conquête de notre secteur, le Lauragais, qui deviendra le plus fameux grenier à pastel d’Europe.
Mais le XIV° siècle est l’un des plus sinistres de l’histoire de France et de l’Occitanie en particulier : guerre de 100 ans avec l’Anglais, peste apportée par les rats d’Asie lors du convoyage des épices, dévastation des campagnes par les Grandes Compagnies. Ces tristes événements retarderont mais n’empêcheront point le développement du pastel dans son élan vers le sud.
À partir du XV° siècle, le développement des industries textiles des régions flamandes et de l’Angleterre engendre une demande de produits tinctoriaux. Dans la nouvelle configuration des circuits commerciaux désormais orientés vers le Nord, Toulouse et sa région étaient doublement favorisées. En effet, le climat du Lauragais, sa géomorphologie – coteaux ensoleillés aux terres argilo-calcaires – et la densité de sa population en faisaient un territoire de prédilection pour une plante qui aime le soleil, ne craint pas la sécheresse, apprécie les terrains calcaires et exige beaucoup de soins, donc une main d’œuvre abondante. De plus, la proximité d’une ville importante facilitait la centralisation des productions en vue de leur commercialisation.
D’autre part, l’axe de circulation que constitue la Garonne avec l’importance du port maritime de Bordeaux et la présence à Toulouse de bourgeois fortunés capables d’investissements importants dans un but spéculatif, font de cette ville la place commerciale toute désignée pour devenir le centre d’un négoce aux dimensions européennes.
La conjonction de tous ces facteurs permet l’extraordinaire réussite de l’industrie pastellière dont les retombées économiques, sociales, culturelles et artistiques font des années 1490-1561 les plus brillantes de l’histoire de Toulouse et de sa région.
Un grand nombre de châteaux et d’hôtels particuliers du pays toulousain sont d’ailleurs édifiés grâce aux revenus du pastel.
De véritables dynasties de marchands pastelliers vont s’implanter à Toulouse. La plupart, sinon tous, d’origine roturière, redorent leur patronyme populaire en achetant des fiefs nobiliaires et deviennent « capitouls ». En outre l’accession au capitoulat leur procurait la noblesse héréditaire. Parmi eux, citons : les Boisson, Beauvoir, Lancefoc, Bernuy, d’Assezat, Delpuech….
À cette époque, malheureusement, les guerres de religion font rage et de nombreux marchands protestants sont menacés, notamment d’Assézat, ou chassés de Toulouse au cours de la Saint Barthélémy (1572).
Le « Pays de Cocagne » au sens étymologique est la région du sud-ouest où l’on pratique le façonnage du pastel en pâte, sous la forme de boules appelées cocagnes. Cette région s’inscrit dans un vaste triangle ayant pour pointe nord Albi, pointe ouest Toulouse et pointe sud Carcassonne. C’est donc en Lauragais et en Albigeois que la densité des zones productrices atteint une concentration exceptionnelle.
Le Lauragais se répartit de nos jours entre 4 départements : Tarn, Aude, Ariège et Haute-Garonne.
Ses frontières naturelles sont :
– au nord : la rivière tarnaise de l’Agout
– au sud : celle de l’Hers
– à l’est : l’Aude à Carcassonne
– à l’ouest : l’Ariège.
Dans l’ordre, pour chaque département, voici le nombre des communes où la culture et la vente du pastel sont attestés au XV° et XVI° siècles : 91 en Haute-Garonne, 26 dans le Tarn, 10 dans l’Aude et 5 en Ariège.
Ce décompte n’est évidemment pas exhaustif, puisque susceptible d’être complété au fur et à mesure de la mise à jour d’archives locales ou privées.
Concernant le nombre de moulins pastelliers en activité au XVI° siècle (l’âge d’or), il n’y a pas de chiffres précis mais ils devaient être de l’ordre de 500 à 700 dans le triangle du « bleu » Albi, Toulouse et Carcassonne. En effet, des petites communes comme le Bourg Saint Bernard, grand centre pastellier, en possédaient une vingtaine, tout comme Cintegabelle.
Tout près de Goyrans, Lacroix-Falgarde fait partie du légendaire Pays de Cocagne. Sur cette commune, la culture du pastel est pratiquée dès 1435, puisqu’à cette date 2 moulins pastelliers y sont construits. L’arpentage de 1581 en mentionne 7, certains démolis, d’autres en état de fonctionner. Le livre de compte de François Delpuech fait mention à plusieurs reprises de la vente du pastel produit à Lacroix-Falgarde et probablement à Goyrans où il possède également des terres, entre 1570 à 1582.
François Delpuech est un bourgeois enrichi par le commerce du pastel et qui a été anobli par une année de capitoulat. En 1569, il achète à l’église et plus précisément au chapitre de Saint Étienne, la seigneurie de Lacroix-Falgarde et se fait construire un château. C’est celui que l’on peut voir encore actuellement à l’entrée de ce village, juste avant le centre commercial, à l’extrémité d’une allée bordée de platanes.
Autant les moulins à vent céréaliers ont inspiré à toutes les époques nos comptines ou de grands écrivains comme Cervantes, La Fontaine dans ses fables, Alphonse Daudet, Guy de Maupassant dans un poème, autant les moulins pastelliers sont absents de notre littérature. Cela tient au fait que le moulin pastellier a une structure moins spectaculaire, moins repérable à l’horizon que le pittoresque ouvrage éolien, visible sur sa butte à des kilomètres à la ronde, et dont le gracieux mouvement giratoire des ailes a toujours fasciné les générations passées.
Le moulin pastellier est, dans la plupart des cas, mû par la traction animale, ce qui permet de ne pas être tributaire des aléas climatiques inhérents aux moulins à eau ou à vent. En effet, les feuilles de pastel, une fois récoltées, lavées et séchées ne peuvent pas être stockées avant d’être moulues. Le moulin à traction animale présente donc une sécurité car il peut s’utiliser même en cas de sécheresse ou de manque de vent.
Il fonctionne sur le modèle de la noria : une meule gisante creusée d’une rigole circulaire et traversée d’un axe vertical est surmontée d’une meule roulante, énorme disque de pierre circulant à la verticale autour d’un axe horizontal entraîné par un animal. Celui-ci tourne autour de la meule gisante, dans la rigole de laquelle on place les feuilles de pastel.
Dans la plupart des cas, ces pierres sont en granit du Sidobre (à l’ouest de la Montagne Noire) et ont un diamètre de 130 à 160 cm.
Généralement, on installe le moulin dans un simple hangar couvert, doté parfois d’un étage et d’une porte à double vantaux pour y introduire la charrette.
Ces moulins sont généralement polyvalents car leur activité saisonnière n’aurait pas suffi à les amortir de sitôt. Ils sont certainement utilisés pour moudre des céréales ou produire de l’huile.
Un champ de pastel avec ses fleurs jaunes, ressemble à nos champs de colza actuels.
La culture du pastel est difficile car elle exige un travail harassant de la part des paysans. Aussi, chacun n’ensemence en pastel qu’une partie de ses terres et même parfois une simple plate-bande en bordure de son champ. Le souci principal reste les cultures vivrières, le pastel n’étant qu’une culture supplémentaire permettant de se procurer quelque argent.
Dès l’hiver, la terre doit être retournée en profondeur grâce à plusieurs labours.
En février, on sème les graines sous 3 ou 4 cm de terre.
A partir d’avril, les feuilles commence à sortir, à même la terre, comme des salades. Il faut alors biner et désherber soigneusement les champs.
En juin, on peut procéder à une première récolte : celle-ci se fait feuille par feuille, en choisissant avec soin les feuilles mûres qui présentent un liseré violacé.
Cette opération se répète 4 à 5 fois au cours de l’été jusqu’à la dernière récolte d’octobre où l’on cueille tout le pied.
1° phase : traitement des feuilles ( 3 semaines)
Ce sont les feuilles récoltées, et non pas les fleurs de couleur jaune, qui constituent la matière première de l’industrie pastellière. Une fois cueillies, elles sont lavées à grande eau dans un ruisseau, puis étalées sur un pré ou sur le sol des hangars pendant quelques jours au cours desquels on les retourne fréquemment au râteau afin d’empêcher l’échauffement et le pourrissement.
À l’inverse, les feuilles ne doivent pas être trop sèches.
La récolte est ensuite convoyée jusqu’au moulin pastellier. Les feuilles sont alors réduites en une purée verte que l’on stocke dans un local carrelé légèrement en pente pour accélérer l’égouttage qui durait de 15 à 21 jours.
2° phase : la fabrication des cocagnes ( 4 à 6 semaines).
La pâte obtenue est alors malléable et gluante et l’on fabrique manuellement de petites boules appelées « coques » ou « cocagnes » dont la taille varie d’une pomme à celle d’un petit melon.
Ces boules sont entreposées dans des séchoirs à pastel, sorte de grands hangars munis de claies où elles sont aérées mais à l’abri de la lumière.
La fabrication des coques donne lieu à de grands rassemblements animés et bavards avec la participation de tout le village : femmes, enfants et vieillards s’y attellent car si la tâche est longue et fastidieuse, elle n’est pas trop pénible.
Une fois sèches, les cocagnes sont transportables et c’est souvent à ce stade de fabrication que le paysan les vend à un collecteur qui passe de ferme en ferme.
3° phase : la transformation des cocagnes en « agranat « ( 16 semaines).
C’est l’opération la plus délicate. Les cocagnes devenues très dures en séchant sont brisées en menus fragments avec des masses de bois puis on a de nouveau recours au moulin pastellier.
Elles sont arrosées de purin ou d’urine afin de fermenter et la pâte ainsi obtenue, noire, visqueuse et malodorante doit être régulièrement retournée et mélangée pour que la fermentation soit homogène. À chaque retournement, le pastel est arrosé d’eau et la fermentation de cette pâte dure de 2 à 4 mois. À la fin de cette période, il forme une poudre granuleuse qui ne doit pas être trop fine et que l’on appelle l’agranat. Celui-ci, loin d’être bleu mais plutôt vert de gris, est conditionné dans des balles de toile pesant de 80 à 165 Kgs.
L’agranat est le produit utilisé par les teinturiers et expédié de Bordeaux vers les ports d’Europe du Nord par les marchands pastelliers de Toulouse.
Le pastel du Lauragais a la réputation d’être d’une excellente qualité. Il se conserve très bien, donne une belle couleur qui résiste au temps. Les négociants font donc des bénéfices considérables mais ils doivent être patients : un an s’écoule entre la récolte des feuilles et la mise au point de l’agranat et au moins un à deux ans entre son expédition par Bordeaux et son paiement par lettres de change des négociants anversois ou londoniens.
Originaire d’Asie, les conquistadors espagnols acclimatèrent l’indigo dans les îles Caraïbes puis en Amérique Centrale vers 1520. Au début du XVII ° siècle, il est aussi introduit aux Antilles françaises.
Celui-ci va connaître un essor extraordinaire car :
– il peut produire pendant plusieurs années, la plante vivant 2 à 3 ans.
– il est prêt à l’emploi, offrant l’aspect d’une matière compactée, dure, faite de poudre agglomérée, facile à utiliser en teinture comme en peinture.
– enfin son prix est imbattable car on a recours à l’esclavage.
Inutile alors de persévérer dans l’usage laborieux, onéreux et délicat des cocagnes.
La mort économique du pastel survient donc au milieu du XVIII° siècle.
À l’aube du XIX° siècle, le pastel occitan, bien que moribond, est toujours présent sur quelques hectares concentrés autour d’Albi.
Sous le Ier Empire, le bleu entre majoritairement dans la couleur des uniformes de la « grande armée » mais le blocus continental décrété par Napoléon Ier prive l’Europe de plusieurs produits de première nécessité dont l’indigo exotique.
Sous l’impulsion de plusieurs chimistes dont le baron de Puymaurin, natif de Toulouse et membre du corps législatif de la Haute Garonne ou de Jean-Antoine Chaptal né en Lozère, docteur en médecine, sénateur et comte de l’Empire, la chimie fait de grands progrès. On délaisse donc l’antique technique de l’agranat de cocagne pour l’extraction chimique.
Par décret du 25 mars 1811, Napoléon Ier fait ensemencer 14 000 hectares de pastel dans les 130 départements de l’Empire et surtout dans les départements du sud-ouest.
Le pastel était souvent une culture marginale. Il n’était cultivé qu’en petite quantité, en marge des cultures vivrières, en ces temps où la nourriture était la préoccupation essentielle des paysans et des propriétaires fonciers.
Les paysans se méfiaient de cette plante fragile et exigeante dont le prix de vente variait énormément d’une année à l’autre. Ils n’étaient pas attirés par la perspective de gains importants car « l’or bleu » profitait davantage aux marchands qu’aux paysans, s’agissant en effet d’une culture très spéculative.
Michel RUFFIE
Campé aux portes de Toulouse, sur la prolongation des coteaux de Pech David, et possédant une perspective telle qu’il en existe bien peu dans d’autres départements, le petit village de Goyrans a la chance de receler un modeste oratoire : la fontaine miraculeuse de Saint Jean Baptiste.
Qui pourrait deviner que se tapit, au fond d’une allée de 60 m environ sur 4 m bordée de frênes, chênes et arbrisseaux divers, un petit édifice précédé d’un ancien abreuvoir ?
Situé à quelques minutes de la place des marronniers en descendant par le chemin de terre de la côte du Bugat, à la limite des champs labourés, on aperçoit sur la gauche un petit bâtiment en briques foraines, où naît une source.
Cette source est à l’origine du choix de Saint Jean-Baptiste comme patron de l’église paroissiale. On sait que les sources, lieux vénérés du paganisme, furent en priorité christianisées.
Cet édicule fait non seulement partie du patrimoine foncier communal, mais encore d’un des nombreux éléments du patrimoine de notre pays.
Tout cela contribue à faire de n’importe quelle promenade en France un véritable enchantement.
L’histoire de cet humble monument nous est connue grâce à ma trisaïeule Marguerite Loubet qui détenait un livret de 46 pages transmis de génération en génération. Cet opuscule, imprimé en 1898, s’intitule « La dévotion à Saint Jean Baptiste à Goyrans ». L’auteur en est François Viraben, curé de Goyrans à cette époque.
Les preuves de l’ancienneté, essentiellement par la tradition orale.
Il est de tradition constante et de temps immémorial qu’il y avait autrefois à Goyrans une fontaine dite miraculeuse. Celle-ci est mentionnée sur le cadastre napoléonien de 1807 qui indique un terrain communal d’une surface de 2 a 32 ca avec un chemin s’élargissant à mesure que l’on approche de la fontaine de manière à former tout en haut, un grand demi-cercle.
Or nous savons que le cadastre napoléonien a été établi en s’inspirant des vieux compoix et livres terriers de l’Ancien Régime, ce qui pourrait prouver l’ancienneté de la fontaine sans cependant fournir une date certaine.
Vers 1820, du vivant de monsieur l’abbé Izard, curé des paroisses d’Aureville et Goyrans de 1814 à 1850, et de monsieur Joseph Niel, maire de Goyrans, cette fontaine est très en honneur dans la contrée. En effet, ses eaux jouissent de la vertu de guérir du « mal de Saint Jean » et des processions y sont organisées, notamment la veille de la Saint Jean Baptiste, le 23 juin.
Hélas, après des décennies d’abandon, entièrement comblée par les terres que le temps y avait accumulées et obstruée par les ronces et les épineux qui avaient poussé tout autour, cette fontaine n’existait plus que de nom et se trouvait réduite à un mince filet d’eau.
Sur la foi des témoignages précis et formels des habitants du village et en particulier de Jeanne Berjeaud née Boulouch, Pierre Albouy et Catherine Goudillon née Déjean, et voulant en avoir le cœur net, l’abbé Viraben décide en octobre 1893, d’organiser des fouilles.
Et là, contre toute attente, par la « grâce de Dieu », on trouve, à 1 m environ au- dessous du sol, un bassin rectangulaire en briques rouges d’une profondeur de 4 m.
Aussitôt, sous l’impulsion du curé de la paroisse et grâce aux dons de pieux fidèles, les travaux de reconstruction débutent en 1894 et sont terminés en 1895.
Les dépenses s’élèvent à la somme de 3000 francs.
Un petit bâtiment, entièrement en briques foraines et surmonté d’une croix en fer s’éleve désormais à plus de 4 m au dessus du sol. Il dispose d’une ouverture dotée d’un arc de briques en plein cintre. Au milieu du pignon, une petite niche est destinée à recevoir la statue du Saint aujourd’hui disparue.
En se penchant, on aperçoit l’eau claire à peu de distance qui autrefois s’écoulait dans la petite vasque de pierre accolée au bas de l’édifice.
Le mal de Saint Jean, « qu’es aquò » et avons-nous des témoignages de guérison ?
On parle du « mal de Saint Jean » pour les personnes atteintes d’abcès et tumeurs. Mais on peut aussi invoquer le Saint pour les jeunes mères qui attendent leur délivrance.
Pour demander la guérison, le rituel est très codifié :
Les malades doivent faire une « Neuvaine » ou un « Triduum » en l’honneur de Saint Jean. Ils sont tenus de réciter la prière spéciale pour Saint Jean Baptiste, avec le chapelet, auquel on ajoute après chaque dizaine et par trois fois l’invocation suivante :
« Saint Jean Baptiste, priez pour nous ».
Une neuvaine correspond à l’espace de 9 jours consécutifs pendant lesquels on fait divers actes de dévotion ou des prières en l’honneur d’un saint pour implorer son secours.
Un triduum consiste à dire des prières pendant 3 jours.
En même temps, les malades se frottent avec de l’eau de la fontaine miraculeuse ou selon un autre usage avec du vin béni dans lequel on aura mis de l’eau de la fontaine.
Les malades qui ne veulent pas faire de neuvaine ni de triduum peuvent se contenter de la récitation d’un chapelet avec les 3 invocations prescrites.
Les témoignages :
La plupart de ces dévotions n’ont généralement d’autre base que la tradition.
Qui a vu les faits sur lesquels reposent ces dévotions ?
Qui les a constatés ?
Où en sont les preuves et les témoignages ?
À Goyrans, les témoignages adressés au curé de l’époque par des habitants du village et des villages voisins sont consignés sur un registre qui se trouvait à la sacristie.
Nous nous contentons d’en citer quelques uns :
Monsieur le curé, souffrant depuis de longues années d’un mal très violent à la main droite et m’étant lavé avec l’eau de la fontaine de Saint Jean, la douleur a aussitôt diminué et depuis le mal a presque disparu. J’en remercie Dieu et notre saint patron qui m’a obtenu cette guérison. LOUBET Goyrans 1° mai 1894
Monsieur le curé, c’est avec les sentiments de la plus vive reconnaissance à l’égard de Saint Jean que je viens attester ma complète guérison. Atteinte d’un abcès qui avait gagné toute la partie du bras gauche et après des souffrances intolérables, je me suis lavée avec de l’eau de la fontaine de Saint Jean et peu après, l’abcès s’est percé. J’ai continué à me laver avec cette eau et à son tour la plaie s’est cicatrisée. Que Dieu en soit loué et aussi notre saint patron. GOUDILLON Goyrans 15 août 1894
Monsieur l’abbé, affligée d’un mal violent à la joue et persuadée que c’était le mal de Saint Jean, j’ai fait dire une messe et bénir du vin sous l’invocation du Précurseur. Le mal persistant, je me suis rendue à Goyrans où j’ai donné une modeste offrande à Saint Jean, pris une bouteille d’eau à la fontaine, avec laquelle je me suis lavée la joue et l’enflure a disparu. Gloire et reconnaissance à Saint Jean Baptiste. Bernadette LANTA Labarthe 1° octobre 1895
Les processions :
Avec la reconstruction de l’oratoire, les processions abandonnées depuis des décennies reprennent de plus belles.
Tous les organes régionaux de la presse catholique de l’époque, Le Messager de Toulouse, La Croix du Midi, L’Express du Midi et La Semaine Catholique de Toulouse prêtent leur concours et sous leur impulsion, les pèlerinages s’organisent.
Les pèlerins viennent non seulement de Goyrans et des villages voisins mais aussi de Toulouse. À partir de 1895, indépendamment des communautés religieuses et des paroisses qui peuvent venir en dévotion, il y a tous les ans un pèlerinage de la ville de Toulouse à Goyrans. Le départ s’effectue au 46 allée Saint Etienne à 7 h du matin. Le prix des places est de 1 Fr pour les enfants jusqu’à 10 ans et de 1 Fr 50 pour les plus âgés.
Ce pèlerinage annuel reste fixé au dimanche précédant la fête du saint ou au dimanche si celle-ci tombe ce jour là.
Pendant ces processions, les participants chantent notamment les deux cantiques composés, paroles et musiques, par l’abbé Viraben.
Le refrain du 1° cantique doit être interprété en « tempo di marcia risoluto » tandis que les couplets sont « andante ». Voici l’un de ces couplets :
Que Goyrans te vénère et proclame ton nom
Qu’il devienne à jamais un foyer de prières
Et que l’eau de ta source, ô notre saint patron
En ranimant la foi, soulage nos misères.
126 ans plus tard, ce simple édifice religieux, symbole d’une époque et d’une foi
« celle du charbonnier » est toujours debout au fond de son allée. Il a bien l’intention de continuer à faire face aux assauts répétés du vent d’autan « que bufo un cop cado més ». Cependant, il mériterait grandement d’être rénové et ses abords aménagés.
Michel RUFFIE
La question scolaire après la Révolution :
Au début du XIX° siècle, très peu de communes rurales possèdent une école. L’enseignement primaire est assuré en grande partie par les Frères des Écoles Chrétiennes et l’enseignement secondaire par les Jésuites.
Sous Louis-Philippe Ier, en 1833, la loi Guizot sur l’enseignement primaire fait obligation à toutes les communes d’entretenir une école, payante pour les enfants fortunés, gratuites pour les enfants indigents désignés par le conseil municipal.
L’entretien d’une école est soumis à la volonté de la commune ou du curé qui recherchent, embauchent et logent un instituteur, s’ils le jugent utile. Peu à peu, l’instruction primaire s’organise au niveau national et les écoles primaires se multiplient. Elles deviennent l’enjeu de luttes d’influence entre le pouvoir municipal et l’Église jusqu’à ce que les lois scolaires de la troisième République instaurent, en 1881, l’École laïque, gratuite et obligatoire.
Un problème se pose à Goyrans, le village étant à la fois trop peu peuplé et trop dispersé ; en 1881, il y avait 181 habitants.
En effet, il est compliqué de regrouper en un point quelconque de la commune un nombre suffisant d’élèves pour assurer l’existence d’un maître ; aussi, les enfants fréquentent les écoles du voisinage et essentiellement celle de Lacroix-Falgarde.
Les petits Goyranais s’y rendent jusqu’en 1886, date d’ouverture de l’école de Goyrans.
En 1844, les habitants de Goyrans font pression sur l’instituteur pour qu’il vienne faire la classe dans leur village 3 heures par jour, afin d’éviter aux enfants les inconvénients et la perte de temps du trajet à pied. Le conseil municipal de Lacroix-Falgarde s’élève contre une telle prétention et déclare que les enfants de Goyrans sont trop peu nombreux, qu’ils sont toujours venus à l’école de Lacroix-Falgarde et que, si l’instituteur fait la classe à Goyrans, ce sera au détriment des enfants de Lacroix-Falgarde.
Dès 1860 environ, il existe à Lacroix-Falgarde une école privée de filles qui, elle aussi, attire des filles de Goyrans.
Cette école est tenue par une sœur de la congrégation de la Sainte Famille de Nazareth, dont la maison-mère est à Besançon et qui fonde en 1855 un établissement au Plan, petit village des environs de Cazères, dans l’arrondissement de Muret. Les sœurs institutrices reçoivent un enseignement au Plan, avant d’être envoyées dans d’autres villages, sur demande du curé, pour y instruire les filles de la campagne. C’est ainsi que la sœur Marthe Juvenel arrive à Lacroix-Falgarde vers 1860. En 1865, elle reçoit pour la première fois une subvention de la municipalité, ce qui lui permet de recevoir gratuitement 4 filles pauvres. Cette institution perdure jusqu’en 1881.
À cette époque, l’atmosphère n’est pas à la tolérance envers les institutions religieuses. Dès ses débuts, l’école privée de filles de Lacroix est soutenue par les châtelains. Ce sont eux qui lui fournissent un bâtiment, situé au grand chemin de Toulouse (soit à l’actuel 39 avenue des Pyrénées), presqu’en face du presbytère. On ne sait pas quel enseignement y est dispensé mais l’un des prétextes de la municipalité pour la fermer en 1881 est que l’instruction y est de mauvaise qualité. En ces temps de luttes idéologiques entre républicains anticléricaux et congrégations religieuses enseignantes au sujet de l’école, il est probable que ce jugement n’était pas très objectif. La tradition orale rapporte en tout cas que la discipline y était très sévère : une des punitions consistait à se mettre à genoux sur des grains de maïs, selon le témoignage de ma trisaïeule Marguerite Loubet, de Goyrans, qui fréquentait cette école.
Naissance de l’école de Goyrans
Dans sa monographie succincte sur la commune de Goyrans (8 pages seulement) datant de 1885, Monsieur Dumas, instituteur à Lacroix-Falgarde et également auteur d’une monographie de ce village (63 pages) accorde une petite place à l’histoire de l’école de Goyrans. On y apprend que :
« les enfants de l’école de Goyrans reçoivent l’instruction depuis fort longtemps dans les écoles des communes de Lacroix-Falgarde et d’Aureville ; il y a peu de jeunes gens de l’âge de 25 ans qui ne sachent lire, écrire et compter. En 1884, il n’y a pas eu de conscrits illettrés ni de conjoints qui n’aient su signer leurs noms sur leur acte de mariage.
À l’avenir, l’instruction fera plus de progrès dans la commune, une magnifique maison d’école étant en ce moment, en voie de construction sur la place publique, à portée de tous les enfants en âge de pouvoir la fréquenter. On espère que cette construction sera terminée avant le mois d’octobre prochain et qu’un instituteur y sera installé à la rentrée qui suivra les vacances prochaines ! »
Construction d’une école ou d’un presbytère ?
Nous voilà enfin arrivés au cœur du dilemme !
Pour bien comprendre la situation, il faut rappeler la zizanie religieuse existant entre les 2 paroisses de Goyrans et d’Aureville. Du Moyen Âge à la Révolution, Goyrans est l’annexe de la paroisse d’Aureville, les 2 communautés ayant le même curé. Cela signifie que les décisions concernant les églises ou les presbytères sont prises dans des assemblées communes. Quand un différend survient, la séparation des 2 paroisses est réclamée, d’où l’apparition de multiples conflits entre les 2 collectivités.
Pour obtenir leur propre curé desservant, vers le milieu du XIX°, les Goyranais recueillent des témoignages attestant que la commune a eu pendant quelques années un curé indépendant : la pétition recueille 28 signatures. Par conséquent, il est important d’avoir un presbytère pour y loger un prêtre.
Or, à la même époque, en 1851, la municipalité demande à l’architecte Jean-Jacques Esquié de faire le plan d’une maison d’école adossée au mur nord de l’église. Pour ce faire le maire, Raymond Malidat, obtient une subvention de 300 Frs du ministère de l’instruction publique.
L’affaire est rondement menée et la construction est achevée en 1852.
Mais la difficulté va surgir quand Monsieur Massot est nommé en 1853 curé résidant à Goyrans. Ni une, ni deux la municipalité décide d’utiliser ce nouveau bâtiment comme … presbytère !
Adieu école, instruction publique, instituteur, élèves….
La subvention est détournée et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes !
Pas tout à fait ! Le recteur d’académie finit par réagir et adresse une lettre au préfet le 7 octobre 1859 dans laquelle il se plaint du mauvais accueil reçu par l’institutrice qu’il vient de nommer :
« ces jours-ci, j’y ai envoyé une institutrice pour emplir les fonctions d’instituteur communal. Monsieur le Maire l’a fort mal traitée de paroles et lui a dit qu’il ne voulait ni instituteur, ni institutrice… En conséquence de ces procédés violents et arbitraires, j’ai l’honneur de vous prier de mettre, M. le maire de cette commune, premièrement en demeure de rendre le local de l’école ou d’en fournir un autre avec logement, deuxièmement de l’inviter à installer l’institutrice que j’y ai nommée. »
Finalement, la municipalité et son maire Jean Delmas vont se résoudre à la construction d’une maison d’école séparée mais celle-ci n’est ouverte qu’en 1886 !
135 ans plus tard, elle occupe toujours la place d’honneur au centre du village.
Épilogue
Ce long et tumultueux conflit s’est déroulé pendant une période de laïcisation importante de l’État et du pays en général.
La place de l’Église dans la société est au centre du débat politique et à l’origine du principal clivage entre cléricaux et anticléricaux pendant cette période de la III° République. Le cas de Goyrans n’est certainement pas unique et c’est une accumulation de petits conflits locaux de cette nature qui alimente, en partie, l’anticléricalisme de la plupart des parlementaires républicains qui finissent par l’emporter en 1905 avec la loi de séparation de l’Église et de l’État.
Les grands progrès accomplis dans le domaine de l’enseignement pendant le XIX° siècle ont porté leurs fruits avant que l’école ne devienne obligatoire, ce qui laisse à penser que les lois scolaires de Jules Ferry votées en 1881 et 1882 n’ont fait que légaliser un état de fait préexistant : en effet, la loi Guizot de 1833 rendant obligatoire l’entretien d’une école dans chaque commune a engendré le progrès le plus significatif.
L’importance de l’école dans la formation des citoyens n’a cessé de croître en devenant un enjeu politique de première importance.
Michel RUFFIE
Il y a 92 ans, à Castanet Tolosan un « Grand Concours Agricole Départemental » est organisé les 27, 28 et 29 septembre 1929 sous la présidence effective du ministre de l’agriculture et le haut patronage du conseil général, de divers organismes agricoles ainsi que de M. le docteur Delherm, conseiller général et maire d’Auzeville.
À cette occasion, on publie un opuscule de 75 pages, intitulé : « Un canton languedocien: Castanet-Tolosan ».
Cette plaquette commémorative est définie comme une étude « géographique, historique, touristique, agricole » par son auteur Danton Cazelles.
Cet auteur nous intéresse à plus d’un titre.
Il naquit dans l’Hérault en 1867 et mourut à Toulouse en 1961. Il est à la fois écrivain, poète occitan et érudit passionné par l’histoire du Languedoc.
Il fut aussi majoral du Félibrige.
Le Félibrige est une association qui œuvre dans un but de sauvegarde et de promotion de la langue, de la culture et de tout ce qui constitue l’identité des pays de langue d’oc.
Ce grand mouvement de revendication identitaire, fut fondé en 1854 par 7 jeunes poètes provençaux avec, à leur tête, Frédéric Mistral qui obtient le prix Nobel de littérature en 1904 pour son œuvre « Mireille » écrite en langue d’oc.
L’emblème du Félibrige est une étoile à 7 branches. Son hymne « La Coupo Santo » est devenu l’hymne de l’ensemble des pays d’Oc.
Pendant près de 30 ans, Danton Cazelles est instituteur à Castanet.
C’est lui qui fait admettre aux autorités publiques, que le terme « Tolosan » soit associé à celui de Castanet et un décret de 1922 lui donne satisfaction.
Tout cela démontre le sérieux de son étude !
L’ouvrage qui nous concerne présente chaque commune et se termine par plusieurs dossiers généraux consacrés au canton.
Grâce à ce petit livret, le blason de Goyrans est visible à deux reprises sur la couverture, avec les blasons des autres communes, puis avant le chapitre consacré à Goyrans . Il représente un lion noir dressé sur ses pattes arrière sur fond jaune ou en utilisant la terminologie héraldique : « d’or au lion de sable ».
Ayant découvert cette brochure, Francis Barthès, ancien maire du village, remet à l’honneur notre blason sur les plaques indiquant le nom des chemins et sur les divers documents de la mairie.
L’origine de ce blason est plus obscure et devra faire l’objet d’une étude plus approfondie. Il est permis de supposer que ces armes sont celles d’une ancienne famille seigneuriale au XIII° siècle : les « de Goirons » ou « de Goyrans ».
La partie se rapportant à notre commune nous donne plusieurs indications intéressantes et pittoresques :
Population : 138 habitants
Fête Locale : 24 Juin (Pour la St. Jean Baptiste patron de la paroisse)
Maire : Arpizou, adjoint : Milhès.
Secrétaire de Mairie : Mme Dupont, institutrice (école mixte)
Curé : Labit, desservant à Clermont.
T.S.F. : 3 postes : 1 à l’école, 1 chez le forgeron et 1 chez M.Bigot
Un café : M.Crouzilles, épicier-mercier
Forgeron : M.Morelis (arrière grand-père de Mme Arlette Jean)
Médecin : Docteur Dubois à Venerque
Agriculture :
Superficie de la commune : 569 hectares en terrain argilo-calcaire, sauf lieu-dit le moulin en terrain siliceux
80 ha en blé ; 20 ha en avoine ; 10 ha en orge et 30 ha en maïs
Vignes : 7,5 ha
15 charrues Brabant ; 30 herses ; 15 houes ; 1 tracteur ; 1 pulvérisateur à bât
10 moissonneuses lieuses ; 15 faucheuses ; 2 semoirs ; 2 machines à battre
Ovins : 130 ; bovins : 17
Bœufs de travail : 22 paires
Métairies : Propriétaires ou fermiers Lieux-dits
Badel Troy
Dille Arpizou
Fontpeyre Baruthel
La Roque Bigot
Métairie d’en bas Bigot
Négri Bigot
Le Père Couydoux
Saint-Martin Tertre Marty
Le moulin Tertre
Panteville Paris
La petite Borde Pradel Le village
Château Delmas
185 Chemin des Crêtes
31120 Goyrans
Lundi 9h > 12h et 14h > 18h
Mardi 15h > 19h
Mercredi 9h > 12h (hors vacances scolaires)
Jeudi 14h > 18h
Vendredi 14h > 17h
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