Le prince noir ravage les coteaux du Lauragais pendant la guerre de Cent Ans ans
La guerre de Cent Ans gagne le pays toulousain
Pendant la guerre de Cent Ans, la région toulousaine n’a été le théâtre d’aucune bataille. Calme et prospère, elle a, certes, souffert du désastre de la Peste Noire entre 1348 et 1351, mais peu après, elle fait figure d’opulente province par rapport à la Gascogne et à la Guyenne qui ont enduré les hostilités entre Philippe VI de Valois, roi de France, et Édouard III, roi d’Angleterre et son vassal pour la Guyenne .

Cette prospérité la désigne comme une proie de choix pour les bandes de pillards et de brigands dont elle subit les raids.
À cette époque, les guerres sont faites par des « Compagnies » appartenant à des professionnels de la guerre, les capitaines, avec lesquels les souverains passent des marchés. Ces chefs, presque tous des gentilshommes en quête d’aventures et hommes de guerre de grande valeur, ne demandent qu’à conduire leurs hommes au combat, à condition d’être très bien payés.
Le capitaine recrute alors ses « gens d’armes », en réalité une foule bigarrée de vagabonds, paysans sans terres, aventuriers attirés par la solde et la perspective d’un butin, et qui, sitôt une paix ou une trêve conclue, se trouvant au « chômage technique », constituent un fléau pour les campagnes car ils continuent à piller, voler, violer et massacrer mais sans plus obéir à aucune autorité militaire, échappant ainsi à tout contrôle.
Une des expéditions les plus meurtrières de la guerre de Cent Ans fut celle que mena, dans notre région, le Prince de Galles et Prince d’Aquitaine, Édouard de Woodstock, dit « le Prince Noir ».

Qui était le Prince Noir ?
Ce nom qui fleure le mystère, il le doit à la couleur de son armure.
En effet, après la victoire de Crécy qu’il remporte en 1346 avec son père, le roi Édouard III d’Angleterre, il aurait commandé à ses sbires, à la nuit tombée, de massacrer les prisonniers français incapables de payer une rançon ! Une sacrée entorse à l’esprit chevaleresque qui lui attire l’ire de son père. Ce serait à la suite de cette forfaiture que le Prince, honteux, aurait revêtu une armure noire.
Seule la tradition orale aurait colporté ce sobriquet de Prince Noir pendant 2 siècles jusqu’à ce qu’il soit désigné ainsi dans une chronique publiée au XVI° siècle.
Descendant d’Aliénor d’Aquitaine, il est par sa grand-mère, Isabelle de France, l’arrière petit-fils du roi de France Philippe IV le Bel et le fils aîné du roi Édouard III d’Angleterre.
Les étapes de l’effrayante chevauchée de 1355 en pays toulousain
Les bordelais et la plupart des grands seigneurs gascons ne souhaitent pas tomber sous l’autorité du roi de France. En reconnaissant le monarque anglais comme leur duc légitime, ils conservent tous les revenus de leurs terres, tandis qu’avec le roi de France pour seigneur, ils deviendraient ses vassaux avec toutes les charges et impôts leur incombant.
Il semble que cette expédition soit motivée d’une part par un désir de revanche des seigneurs gascons qui demandent à Édouard III d’envoyer son fils en Aquitaine « faire le dégât » sur les terres du souverain français afin de les venger des dommages qu’ils ont eux-mêmes subis.
D’autre part, le souverain anglais sait qu’il a tout à gagner à appauvrir une province appartenant au roi de France.
Deux semaines après son arrivée à Bordeaux, le Prince Noir en repart en direction du pays toulousain.

Selon Froissart, dont les chroniques sont à la base de toute l’histoire du Moyen-Age, il est à la tête d’une armée composée d’environ 3 500 chevaliers et archers anglais auxquels sont venus se joindre 3 000 gascons et béarnais commandés par les seigneurs de la région.
Avant d’atteindre les rives de la Garonne, ses troupes ravagent la vallée du Gers. N’ayant pratiquement rencontré aucune opposition armée, les troupes du Prince Noir bifurquent vers l’Est pour se retrouver le 27 octobre devant Saint-Lys à 30 Kms au sud-ouest de Toulouse.
Tous ces hommes qui viennent de ravager l’Armagnac sont en droit de penser que leur course se termine là, au bord de la Garonne et de l’Ariège. Franchir ces 2 fleuves paraît impossible puisque tous les ponts, à l’exception de ceux de Toulouse, sont coupés.
Que nenni !
Le prince demande s’il existe un endroit où ses troupes pourraient traverser les deux fleuves. Il faut donc découvrir un gué. À quelques kilomètres en amont de Toulouse « par la grâce de Dieu, on le trouva ».
En outre, comme l’été a été très sec, le niveau de l’eau est assez bas pour permettre aux hommes et aux chevaux d’effectuer leur traversée sans trop de difficulté.
C’est ainsi que le 28 octobre 1355, ayant fait traverser à ses troupes la Garonne entre Roques et Pinsaguel puis l’Ariège à hauteur du futur village de Lacroix, le Prince Noir s’installe sur les collines de Falgarde.
Goyrans n’est pas nommé dans les récits de Froissart, mais il est tout à fait vraisemblable que les troupes en maraude du Prince Noir ont parcouru les alentours en pillant et brûlant les villages, les châteaux du voisinage ainsi que probablement le château primitif de Clermont le Fort. Les collines de Goyrans sont aux premières loges pour servir de campement à ces troupes. Les paysans, pauvres pour la plupart, et rarement propriétaires de leurs terres, sont d’autant plus prompts à la fuite qu’ils ne possèdent que peu de choses. Les pillards sont sans doute déçus de ce qu’ils trouvent dans les maisons abandonnées.
Leur appétit de vengeance n’a pas d’objet particulier à Falgarde, qui est terre d’Église et non de seigneur. Il n’en est pas de même à Pinsaguel où la famille des Isalguier est au service des rois de France ou à Auzil dont le fief appartient à Morlas, un lieutenant du roi Philippe VI. Le village de Falgarde est qualifié de « petit » par les chroniqueurs de Prince Noir. Il est sans doute pillé et mis à sac, peut-être certaines maisons sont-elles détruites.
Le Prince Noir raconte lui même dans une lettre à un évêque anglais « qu’il ne passait nulle journée sans que de bonnes villes et forteresses ne fussent brûlées ou détruites par chacune de ses batailles » (son armée est divisée en 3 groupes, chaque groupe étant appelé « bataille »).
Le Prince Noir est peut-être logé dans un château lors de son étape à Falgarde. Il ne peut s’agir alors que d’un château situé sur les hauteurs. En aucun cas, il ne serait descendu au village de Lacroix qui n’est mentionné par aucun chroniqueur et n’existe peut-être pas encore. D’autre part, ayant connu un incendie dans une maison où il était hébergé lors d’une précédente campagne, le Prince Noir avait, selon la tradition orale, pour habitude de coucher, de préférence, en plein air.
Froissart, qui a recueilli les souvenirs personnels du Prince Noir, précise que le Prince campe à Falgarde dans un beau vignoble, probablement sur le versant méridional exposé en plein soleil.
L’étape suivante est Montgiscard dont la population est massacrée, après que Castanet soit brûlé au passage. Il en est de même pour Baziège, Castelnaudary, la ville basse de Carcassonne et les faubourgs de Narbonne que le Prince atteint le 11 novembre. Le Prince Noir ne va pas s’enraciner devant Narbonne qu’il n’a pas l’intention d’assiéger. L’hiver approchant, il renonce à poursuivre sa chevauchée un peu avant Béziers et revient à Bordeaux en suivant un autre itinéraire.
Epilogue
Pendant 2 mois, des bords de la Gironde aux rives de la Méditerranée, le Prince Noir tient en échec l’armée du roi de France. Aucune grande bataille n’est livrée, mais les régions et les villes d’où le monarque français tire plus de la moitié de ses subsides sont détruites.
Cette campagne, destinée à détruire méthodiquement les ressources de l’ennemi, est une « razzia de pirates affamés ».
Injustes et terribles pour ceux qui les subissent, les chevauchées des Anglo-Gascons ne dénotent cependant pas une cruauté particulière, elles appartiennent aux mœurs du quatorzième siècle. Les us et coutumes de cette époque de transition entre la fin du Moyen Âge et l’aube de la Renaissance ne sont pas tendres ! La vie a perdu contre la mort, mais la mémoire a gagné dans son combat contre le néant.

Gisant du Prince Noir, cathédrale de Canterbury