Le pastel était connu au Moyen Âge et même dès l’Antiquité, dans tous les pays méditerranéens et dans la plupart des pays d’Europe.
Celtes et Gaulois utilisaient le pastel, non seulement pour bleuir leurs tissus et leurs vêtements, mais aussi pour se parer le visage et le corps de signes cabalistiques. Quelle surprise pour Jules César, débarquant en Angleterre, de rencontrer une vieille race celte, du nom de « Picts » (hommes peints), ayant coutume de se frotter le corps avec du pastel !
C’est l’aspect belliqueux de ce maquillage qui impressionna Jules César, lequel mentionne dans ses « Commentaires » sur la Guerre des Gaules (livre V) que : « tous les bretons se teignent avec le pastel sauvage, produisant une couleur bleue, qui leur donne une allure terrible dans la bataille ».
L’un des plus anciens documents législatifs pastellier du Haut Moyen Âge concerne les capitulaires signés par Charlemagne, relatifs à la culture et à l’usage du pastel, qualifié de « Waida » ou « Wadda ». Dans le nord de la France, on l’appelle « guède ».
Les nordiques possédaient également la maîtrise de cette teinture, de même en Angleterre, la culture du pastel commença au début du XIII° siècle.
À partir du XIV° siècle, la culture du pastel va connaître un essor étonnant aux environs d’Albi dont le commerce florissant de la cocagne (boule de pâte de pastel séché) répond soit à la demande des teinturiers de Rouen qui curieusement l’appelaient Bleu de Perse, soit à celle des grandes foires de la Champagne, via le couloir rhodanien, soit enfin à celle des orientaux par les ports de la Méditerranée ( Narbonne, Sète, Aigues- Mortes, Vendres, Saint Gilles, Marseille etc ).
Devant le succès de cette initiative, la culture du pastel entreprend la conquête de notre secteur, le Lauragais, qui deviendra le plus fameux grenier à pastel d’Europe.
Mais le XIV° siècle est l’un des plus sinistres de l’histoire de France et de l’Occitanie en particulier : guerre de 100 ans avec l’Anglais, peste apportée par les rats d’Asie lors du convoyage des épices, dévastation des campagnes par les Grandes Compagnies. Ces tristes événements retarderont mais n’empêcheront point le développement du pastel dans son élan vers le sud.
À partir du XV° siècle, le développement des industries textiles des régions flamandes et de l’Angleterre engendre une demande de produits tinctoriaux. Dans la nouvelle configuration des circuits commerciaux désormais orientés vers le Nord, Toulouse et sa région étaient doublement favorisées. En effet, le climat du Lauragais, sa géomorphologie – coteaux ensoleillés aux terres argilo-calcaires – et la densité de sa population en faisaient un territoire de prédilection pour une plante qui aime le soleil, ne craint pas la sécheresse, apprécie les terrains calcaires et exige beaucoup de soins, donc une main d’œuvre abondante. De plus, la proximité d’une ville importante facilitait la centralisation des productions en vue de leur commercialisation.
D’autre part, l’axe de circulation que constitue la Garonne avec l’importance du port maritime de Bordeaux et la présence à Toulouse de bourgeois fortunés capables d’investissements importants dans un but spéculatif, font de cette ville la place commerciale toute désignée pour devenir le centre d’un négoce aux dimensions européennes.
La conjonction de tous ces facteurs permet l’extraordinaire réussite de l’industrie pastellière dont les retombées économiques, sociales, culturelles et artistiques font des années 1490-1561 les plus brillantes de l’histoire de Toulouse et de sa région.
Un grand nombre de châteaux et d’hôtels particuliers du pays toulousain sont d’ailleurs édifiés grâce aux revenus du pastel.
De véritables dynasties de marchands pastelliers vont s’implanter à Toulouse. La plupart, sinon tous, d’origine roturière, redorent leur patronyme populaire en achetant des fiefs nobiliaires et deviennent « capitouls ». En outre l’accession au capitoulat leur procurait la noblesse héréditaire. Parmi eux, citons : les Boisson, Beauvoir, Lancefoc, Bernuy, d’Assezat, Delpuech….
À cette époque, malheureusement, les guerres de religion font rage et de nombreux marchands protestants sont menacés, notamment d’Assézat, ou chassés de Toulouse au cours de la Saint Barthélémy (1572).
Le « Pays de Cocagne » au sens étymologique est la région du sud-ouest où l’on pratique le façonnage du pastel en pâte, sous la forme de boules appelées cocagnes. Cette région s’inscrit dans un vaste triangle ayant pour pointe nord Albi, pointe ouest Toulouse et pointe sud Carcassonne. C’est donc en Lauragais et en Albigeois que la densité des zones productrices atteint une concentration exceptionnelle.
Le Lauragais se répartit de nos jours entre 4 départements : Tarn, Aude, Ariège et Haute-Garonne.
Ses frontières naturelles sont :
– au nord : la rivière tarnaise de l’Agout
– au sud : celle de l’Hers
– à l’est : l’Aude à Carcassonne
– à l’ouest : l’Ariège.
Dans l’ordre, pour chaque département, voici le nombre des communes où la culture et la vente du pastel sont attestés au XV° et XVI° siècles : 91 en Haute-Garonne, 26 dans le Tarn, 10 dans l’Aude et 5 en Ariège.
Ce décompte n’est évidemment pas exhaustif, puisque susceptible d’être complété au fur et à mesure de la mise à jour d’archives locales ou privées.
Concernant le nombre de moulins pastelliers en activité au XVI° siècle (l’âge d’or), il n’y a pas de chiffres précis mais ils devaient être de l’ordre de 500 à 700 dans le triangle du « bleu » Albi, Toulouse et Carcassonne. En effet, des petites communes comme le Bourg Saint Bernard, grand centre pastellier, en possédaient une vingtaine, tout comme Cintegabelle.
Tout près de Goyrans, Lacroix-Falgarde fait partie du légendaire Pays de Cocagne. Sur cette commune, la culture du pastel est pratiquée dès 1435, puisqu’à cette date 2 moulins pastelliers y sont construits. L’arpentage de 1581 en mentionne 7, certains démolis, d’autres en état de fonctionner. Le livre de compte de François Delpuech fait mention à plusieurs reprises de la vente du pastel produit à Lacroix-Falgarde et probablement à Goyrans où il possède également des terres, entre 1570 à 1582.
François Delpuech est un bourgeois enrichi par le commerce du pastel et qui a été anobli par une année de capitoulat. En 1569, il achète à l’église et plus précisément au chapitre de Saint Étienne, la seigneurie de Lacroix-Falgarde et se fait construire un château. C’est celui que l’on peut voir encore actuellement à l’entrée de ce village, juste avant le centre commercial, à l’extrémité d’une allée bordée de platanes.
Autant les moulins à vent céréaliers ont inspiré à toutes les époques nos comptines ou de grands écrivains comme Cervantes, La Fontaine dans ses fables, Alphonse Daudet, Guy de Maupassant dans un poème, autant les moulins pastelliers sont absents de notre littérature. Cela tient au fait que le moulin pastellier a une structure moins spectaculaire, moins repérable à l’horizon que le pittoresque ouvrage éolien, visible sur sa butte à des kilomètres à la ronde, et dont le gracieux mouvement giratoire des ailes a toujours fasciné les générations passées.
Le moulin pastellier est, dans la plupart des cas, mû par la traction animale, ce qui permet de ne pas être tributaire des aléas climatiques inhérents aux moulins à eau ou à vent. En effet, les feuilles de pastel, une fois récoltées, lavées et séchées ne peuvent pas être stockées avant d’être moulues. Le moulin à traction animale présente donc une sécurité car il peut s’utiliser même en cas de sécheresse ou de manque de vent.
Il fonctionne sur le modèle de la noria : une meule gisante creusée d’une rigole circulaire et traversée d’un axe vertical est surmontée d’une meule roulante, énorme disque de pierre circulant à la verticale autour d’un axe horizontal entraîné par un animal. Celui-ci tourne autour de la meule gisante, dans la rigole de laquelle on place les feuilles de pastel.
Dans la plupart des cas, ces pierres sont en granit du Sidobre (à l’ouest de la Montagne Noire) et ont un diamètre de 130 à 160 cm.
Généralement, on installe le moulin dans un simple hangar couvert, doté parfois d’un étage et d’une porte à double vantaux pour y introduire la charrette.
Ces moulins sont généralement polyvalents car leur activité saisonnière n’aurait pas suffi à les amortir de sitôt. Ils sont certainement utilisés pour moudre des céréales ou produire de l’huile.
Un champ de pastel avec ses fleurs jaunes, ressemble à nos champs de colza actuels.
La culture du pastel est difficile car elle exige un travail harassant de la part des paysans. Aussi, chacun n’ensemence en pastel qu’une partie de ses terres et même parfois une simple plate-bande en bordure de son champ. Le souci principal reste les cultures vivrières, le pastel n’étant qu’une culture supplémentaire permettant de se procurer quelque argent.
Dès l’hiver, la terre doit être retournée en profondeur grâce à plusieurs labours.
En février, on sème les graines sous 3 ou 4 cm de terre.
A partir d’avril, les feuilles commence à sortir, à même la terre, comme des salades. Il faut alors biner et désherber soigneusement les champs.
En juin, on peut procéder à une première récolte : celle-ci se fait feuille par feuille, en choisissant avec soin les feuilles mûres qui présentent un liseré violacé.
Cette opération se répète 4 à 5 fois au cours de l’été jusqu’à la dernière récolte d’octobre où l’on cueille tout le pied.
1° phase : traitement des feuilles ( 3 semaines)
Ce sont les feuilles récoltées, et non pas les fleurs de couleur jaune, qui constituent la matière première de l’industrie pastellière. Une fois cueillies, elles sont lavées à grande eau dans un ruisseau, puis étalées sur un pré ou sur le sol des hangars pendant quelques jours au cours desquels on les retourne fréquemment au râteau afin d’empêcher l’échauffement et le pourrissement.
À l’inverse, les feuilles ne doivent pas être trop sèches.
La récolte est ensuite convoyée jusqu’au moulin pastellier. Les feuilles sont alors réduites en une purée verte que l’on stocke dans un local carrelé légèrement en pente pour accélérer l’égouttage qui durait de 15 à 21 jours.
2° phase : la fabrication des cocagnes ( 4 à 6 semaines).
La pâte obtenue est alors malléable et gluante et l’on fabrique manuellement de petites boules appelées « coques » ou « cocagnes » dont la taille varie d’une pomme à celle d’un petit melon.
Ces boules sont entreposées dans des séchoirs à pastel, sorte de grands hangars munis de claies où elles sont aérées mais à l’abri de la lumière.
La fabrication des coques donne lieu à de grands rassemblements animés et bavards avec la participation de tout le village : femmes, enfants et vieillards s’y attellent car si la tâche est longue et fastidieuse, elle n’est pas trop pénible.
Une fois sèches, les cocagnes sont transportables et c’est souvent à ce stade de fabrication que le paysan les vend à un collecteur qui passe de ferme en ferme.
3° phase : la transformation des cocagnes en « agranat « ( 16 semaines).
C’est l’opération la plus délicate. Les cocagnes devenues très dures en séchant sont brisées en menus fragments avec des masses de bois puis on a de nouveau recours au moulin pastellier.
Elles sont arrosées de purin ou d’urine afin de fermenter et la pâte ainsi obtenue, noire, visqueuse et malodorante doit être régulièrement retournée et mélangée pour que la fermentation soit homogène. À chaque retournement, le pastel est arrosé d’eau et la fermentation de cette pâte dure de 2 à 4 mois. À la fin de cette période, il forme une poudre granuleuse qui ne doit pas être trop fine et que l’on appelle l’agranat. Celui-ci, loin d’être bleu mais plutôt vert de gris, est conditionné dans des balles de toile pesant de 80 à 165 Kgs.
L’agranat est le produit utilisé par les teinturiers et expédié de Bordeaux vers les ports d’Europe du Nord par les marchands pastelliers de Toulouse.
Le pastel du Lauragais a la réputation d’être d’une excellente qualité. Il se conserve très bien, donne une belle couleur qui résiste au temps. Les négociants font donc des bénéfices considérables mais ils doivent être patients : un an s’écoule entre la récolte des feuilles et la mise au point de l’agranat et au moins un à deux ans entre son expédition par Bordeaux et son paiement par lettres de change des négociants anversois ou londoniens.
Originaire d’Asie, les conquistadors espagnols acclimatèrent l’indigo dans les îles Caraïbes puis en Amérique Centrale vers 1520. Au début du XVII ° siècle, il est aussi introduit aux Antilles françaises.
Celui-ci va connaître un essor extraordinaire car :
– il peut produire pendant plusieurs années, la plante vivant 2 à 3 ans.
– il est prêt à l’emploi, offrant l’aspect d’une matière compactée, dure, faite de poudre agglomérée, facile à utiliser en teinture comme en peinture.
– enfin son prix est imbattable car on a recours à l’esclavage.
Inutile alors de persévérer dans l’usage laborieux, onéreux et délicat des cocagnes.
La mort économique du pastel survient donc au milieu du XVIII° siècle.
À l’aube du XIX° siècle, le pastel occitan, bien que moribond, est toujours présent sur quelques hectares concentrés autour d’Albi.
Sous le Ier Empire, le bleu entre majoritairement dans la couleur des uniformes de la « grande armée » mais le blocus continental décrété par Napoléon Ier prive l’Europe de plusieurs produits de première nécessité dont l’indigo exotique.
Sous l’impulsion de plusieurs chimistes dont le baron de Puymaurin, natif de Toulouse et membre du corps législatif de la Haute Garonne ou de Jean-Antoine Chaptal né en Lozère, docteur en médecine, sénateur et comte de l’Empire, la chimie fait de grands progrès. On délaisse donc l’antique technique de l’agranat de cocagne pour l’extraction chimique.
Par décret du 25 mars 1811, Napoléon Ier fait ensemencer 14 000 hectares de pastel dans les 130 départements de l’Empire et surtout dans les départements du sud-ouest.
Le pastel était souvent une culture marginale. Il n’était cultivé qu’en petite quantité, en marge des cultures vivrières, en ces temps où la nourriture était la préoccupation essentielle des paysans et des propriétaires fonciers.
Les paysans se méfiaient de cette plante fragile et exigeante dont le prix de vente variait énormément d’une année à l’autre. Ils n’étaient pas attirés par la perspective de gains importants car « l’or bleu » profitait davantage aux marchands qu’aux paysans, s’agissant en effet d’une culture très spéculative.
Michel RUFFIE
185 Chemin des Crêtes
31120 Goyrans
Lundi 9h > 12h et 14h > 18h
Mardi 15h > 19h
Mercredi 9h > 12h (hors vacances scolaires)
Jeudi 14h > 18h
Vendredi 14h > 17h
© 2022 Mairie de Goyrans - Réalisation : A l'évidence